3.2.1.2.La naissance de la growth machine du Lyon-Turin

Avec l’entrée des acteurs institutionnels et économiques de Rhône-Alpes dans le dossier, le cadre des acteurs engagés sur le projet se modifie substantiellement et la growth machine du Lyon-Turin commence à prendre forme. On passe alors d’une situation classique, où les seuls acteurs du projet sont les chemins de fer et les États, à une situation plus articulée où les représentants politiques et économiques de la région acquièrent une place centrale au sein du processus décisionnel.

Fig. 6 – La première configuration de la
Fig. 6 – La première configuration de la growth machine du projet

Source : élaboration propre

Ces acteurs régionaux ne se limitent pas à la réalisation d’une activité de lobbying (campagnes d’information, organisation de colloques…), mais ils mettent au contraire en place des réseaux et concentrent leur activité dans la participation à la réalisation des études et dans l’organisation de formes de concertation et de discussion locale visant la construction d’un consensus autour du projet. Les deux activités se recoupent, puisque les études qu’ils ont réalisées ou commanditées sont mobilisées dans le processus de concertation. L’implication de la Région Rhône-Alpes ne représente pas une nouveauté uniquement du point de vue des structures relationnelles qu’elle met en place et des études qu’elle participe à développer. Elle l’est aussi du point de vue du contenu de son engagement, qui s’inscrit dans un processus d’investissement de champs de compétences politiques nouvelles : les transports à longue distance, le développement économique et les relations internationales à la fois. Ces thèmes viennent s’ajouter aux compétences spécifiques de l’aménagement du territoire, et la conduite d’un projet TGV, se situant à la croisée entre transports et aménagement du territoire, est l’élément qui permet de faire ce lien entre les compétences propres à l’acteur régional et les compétences qu’il est en train d’investir. Les motivations qui poussent la Région à rechercher une légitimité d’intervention sur des champs nouveaux sont à retrouver dans le cadre des acteurs et des institutions. Du côté politico-institutionnel, cette recherche s’inscrit dans le cadre du processus de décentralisation de l’État français. Du côté des acteurs, elle est aussi le fruit de l’investissement personnel de quelques individus, notamment le président de Rhône-Alpes de l’époque, Charles Millon, qui s’engage dans un travail de construction d’un consensus autour du projet à l’intérieur de la Région et en opposition à l’État central. Ce dynamisme permettra – comme nous le verrons dans les paragraphes suivants – au président d’obtenir un très large consensus parmi les différentes instances de Rhône-Alpes. Cet investissement, cette implication personnelle d’un homme politique dans un projet qui lui offre l’opportunité de repousser les limites des compétences institutionnelles de sa fonction élective permet de rapprocher l’activisme de Millon du concept d’entrepreneuriat politique (Jouve, 1999).