3.3.3.2.Le potentiel environnemental du Lyon-Turin

Depuis quelques années, le soutien européen du Lyon-Turin se caractérise par une argumentation différente, axée sur les enjeux environnementaux liés à ce projet ferroviaire alpin. Le glissement vers une problématique environnementale dans la justification du projet est, en partie, une réponse à la remise en question des projets ferroviaires qui ressort de plusieurs études et rapports réalisés dans le cadre du programme d’action lancé par la Commission européenne sur la période 1995-2000. Ces analyses tendent à mettre de plus en plus en évidence les difficultés financières liées à la réalisation de ces ouvrages. Ces difficultés sont d’autant plus aggravées qu’une forte concurrence modale conduit depuis plusieurs années le chemin de fer à perdre d’importantes parts de marché.

Dans ce contexte, les considérations essentiellement économiques de la première moitié des années 1990 se doublent de nouvelles préoccupations d’ordre environnemental. L’affirmation des enjeux environnementaux des transports ouvre sur l’affirmation de l’objectif du report modal, qui prévoit d’aboutir à un rééquilibrage entre les modes de transports, au bénéfice du maritime et du ferroviaire, en raison de leur moindre impact en termes d’émissions polluantes et de consommations énergétiques. Les mesures mises en place pour favoriser le report modal permettraient aussi d’améliorer le bilan financier des projets ferroviaires en Europe, en ouvrant des perspectives nouvelles de gains de trafic pour le chemin de fer. Même sans compétence directe sur ces projets ni, surtout, marges d’intervention financière, l’engagement fort que l’Europe a pris sur ces derniers entre la fin des années 1980 et la première moitié des années 1990 demande, à partir du moment où « ses » projets sont attaqués, à ce qu’elle en défende la légitimité. La nouvelle argumentation du report modal permet d’atteindre un objectif double : d’un côté, il s’agit de justifier l’intérêt et l’utilité du projet en lui associant un nouvel objectif ; de l’autre, elle permet de nuancer la portée des critiques dirigées contre la faisabilité et l’efficacité de ses choix en matière de politique des transports.

Le problème du transfert modal est abordé par le Livre Blanc de 2001, le document programmatique qui doit guider les choix de l’Europe en matière de politiques des transports, d’infrastructures et de financement pendant la première décennie des années 2000. Ce document prône un rééquilibrage des modes de transport, dans le cadre d’une tarification plus juste et d’une politique d’infrastructure ambitieuse. En particulier, l’Europe souligne que le transfert modal devra être poursuivi notamment dans les vallées alpines. Ici, elle considère, en outre, que le Lyon-Turin pourrait jouer un rôle important pour sa contribution potentielle à la fois à l’écoulement des flux intracommunautaires et au transfert intermodal des trafics transalpins : « les deux projets portant sur des liaisons ferroviaires dans les Alpes [le Lyon-Turin et le projet du Brenner] restent des projets prioritaires particulièrement importants pour contribuer dans le cadre d’une politique globale des transports dans les Alpes à transférer une partie de la croissance du trafic routier vers le rail dans cette région carrefour sur le réseau transeuropéen » (Livre Blanc, 2001). Avec la publication du Livre Blanc, l’objectif du report modal est officiellement « légitimé ». Le recours à ce dernier sera de plus en plus fréquent de la part des défenseurs du Lyon-Turin, qui pourront faire référence à la légitimité de l’Europe pour fournir une nouvelle argumentation au projet dans le cadre des controverses au sujet de la réalisation de cet ouvrage.