3.3.4.2.Le rôle du Lyon-Turin pour la légitimation de l’Europe dans les Alpes

Dans l’espace alpin l’Europe montre un engagement particulier dans la défense des principes qui inspirent sa politique des transports. En prenant une position nette sur les maillons manquants, l’Europe s’est légitimée en tant qu’acteur de référence au sein de la question alpine, en occupant les espaces laissés libres par les États dans les zones transfrontalières, où ces derniers ont plus de problèmes à intervenir. Au début des années 1990, existaient trois maillons clefs en projet à travers les Alpes, mais seul le Lyon-Turin concernait deux pays et, donc, directement l’Europe. Les deux autres projets étaient le tunnel du Lötschberg et du Saint Gothard du programme NLFA suisse.

La prise de position sur ce projet constitue l’élément qui va permettre à l’Europe de renforcer la légitimité de son rôle dans la région alpine, où la question de la gestion des trafics était en train d’acquérir un poids considérable et, souvent, des caractéristiques dissonantes par rapport aux principes défendus par la Communauté européenne. Notamment, c’est la présence de la Suisse qui rend ce conflit d’intérêts plus fort, en légitimant, ainsi, l’intervention de l’Europe dans cette région. Ici, en effet, le respect du principe européen de libre circulation est parfois mis en danger par les dispositions mises en place ou envisagées par la Suisse et, en même temps, la centralité de cette région en Europe, où se croisent des trafics importants, rend le problème du respect du principe européen particulièrement aigu. Le caractère composite de cette région ne fait que participer à porter atteinte au respect de ces principes. Les pays alpins envisagent, en effet, la défense d’objectifs différents et parfois divergents. Cette dissymétrie entre des pays spécifiquement alpins (Suisse, Autriche), globalement concernés par la problématique du transit, des grands pays frontaliers des Alpes (France, Allemagne), pour qui la question est forcément diluée, et l’Italie, complètement dépendante de la traversée des Alpes pour ses échanges terrestres avec le reste de l’Union, rend problématique la conciliation de ces intérêts divers entre eux et avec ceux de l’Europe. Ainsi, cette dissymétrie et la présence de la Suisse sont un moyen puissant pour l’Europe pour imposer son intervention. Comme garante de la liberté de circulation, elle est davantage légitime que n’importe quel pays membre pour demander à la Suisse de négocier avec elle sa politique des transports. En même temps, outre les moyens de pressions dont elle dispose, elle est aussi un partenaire acceptable pour la Suisse, car elle permet, mieux que des discussions bilatérales de pays à pays, d’espérer voir prendre en compte les objectifs environnementaux que la Confédération défend. La base de la négociation qui a donné suite à l’Accord bilatéral sur les transports entre l’UE et la Suisse en 1999 a d’ailleurs été le partage de ces deux préoccupations respectives. On peut donc aussi interpréter cette implication de l’UE dans le cadre d’un renforcement de sa légitimité « diplomatique » à représenter l’ensemble des pays membres et à concilier leurs intérêts particuliers sur une question d’intérêt général. Dans le domaine des transports, l’effort pour imposer l’Europe en lieu et place de chacun des États membres a par exemple été un des aspects important de l’accord « ciel ouvert » négocié avec les États-Unis en remplacement des accords bilatéraux préexistants. Cet exemple illustre la réalité de cette construction d’une légitimité « diplomatique ». Dans les Alpes, le processus de construction de cette légitimité passe aussi par l’engagement de l’Union sur la question des percées alpines : la présence de l’Europe dans le Lyon-Turin est l’un des moyens pour affirmer sa propre légitimité dans cet espace. L’inclusion du Brenner dans le programme RTE-T ne fait que renforcer cette stratégie.