4.3.2.La relation « économie-transports » remise en cause : l’affirmation du concept du découplage

Pendant longtemps, la prévision de la demande de transport de marchandises à moyen/long terme n’a pas figuré parmi les grandes interrogations de la recherche académique, où la modélisation de cette demande a souvent été focalisée sur les modèles de choix modal ou de choix d’itinéraire (Winston, 1985). Selon Vickerman (2002 ; 2004), le faible intérêt des chercheurs pour les modèles de génération de la demande de transport de marchandises tient à ce que l’exercice de prévision de la demande de transport restait soumis à la nécessité de « prévoir et fournir » (predict and provide), soumis en fait à la nécessité de répondre à une demande de transport toujours croissante. Aujourd’hui ce constat est toujours valable, même si des évolutions récentes sont en train de modifier la situation. Depuis une quinzaine d’années, la prise en compte d’un nombre croissant d’enjeux liés au transport a amené à s’interroger sur la génération de la demande et sur ses facteurs déterminants. En France, en particulier, il y a une tradition spécifique de modélisation de la demande de transport de marchandises à moyen/long terme et les études réalisées pour évaluer le Lyon-Turin s’inscrivent dans cette tradition, qui a connu ces dernières années des évolutions importantes. La question que nous nous posons alors est de savoir si les avancées théoriques développées dans le cadre de cette tradition ont aussi influencé les méthodes utilisées pour l’analyse de ce projet, modifié les hypothèses à la base de son analyse ou obligé les acteurs qui ont porté le projet à modifier leur stratégie et leur argumentation dans le cadre du débat sur la réalisation de l’ouvrage.

L’évolution des techniques utilisées dans le cadre des prévisions a été en partie influencée par un concept nouveau s’étant dégagé au milieu des années 1990 en matière de transports et croissance: le découplage. Résultant d’une large évolution de société, la question a commencé à se poser de savoir s’il était possible de changer notre modèle de développement par un modèle moins consommateur d’espace et d’énergies et moins générateur de nuisances35. Autrement dit, en partant du constat que la croissance économique s’accompagne toujours de la croissance de certains facteurs, tels les transports ou la consommation d’énergie, on a commencé à se poser une question différente. Il ne s’agissait plus de savoir si le transport génère de la croissance ou si cette dernière induit du transport, mais s’il est possible de découpler la croissance économique des facteurs dont elle s’est habituellement accompagnée par le passé (découplage absolu). Nous pouvons retracer dans trois milieux différents l’origine de la question du découplage.

Notes
35.

Le Sommet de Rio de 1992 consacre le terme de développement durable et le concept commence à être largement médiatisé auprès du grand public. Lors de ce sommet, la définition de développement durable formulé par le rapport Brundtland de 1987 (« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »), axée prioritairement sur la préservation de l'environnement et la consommation prudente des ressources naturelles non renouvelables, est modifiée par la définition des « trois piliers », qui doivent être conciliés dans une perspective de développement durable : le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l'environnement. Le Sommet de Rio pose publiquement la question du découplage entre la croissance économique et la consommation des ressources planétaires. Il affirme l’idée de durabilité forte en opposition à un objectif de durabilité faible.