4.4.1.2.Les hypothèses à la base de la modélisation

A l’exception de ces deux nouveautés, la première phase d’étude de LTF se conclut en 2003 sans qu’aucun autre changement significatif ne soit apporté au cadre de la modélisation. Dans son modèle de prévision des trafics, la relation entre la dynamique économique, mesurée par le PIB, et les évolutions des transports demeure la variable centrale des exercices de projections des trafics à des horizons futurs. Le modèle de génération utilisé est le même que le bureau d’étude SETEC avait déjà réalisé en 1995 pour le compte d’Alpetunnel. Par conséquent, il ne peut pas intégrer les développements décrits dans les paragraphes précédents, que la recherche a connus en matière d’analyse et prévisions des trafics. Dans les considérations des acteurs de la growth machine que nous pouvons lire aujourd’hui à travers les hypothèses des études techniques, nous ne retrouvons que de rares traces des nombreuses réflexions menées au cours des années 1990 dans le domaine de l’économie des transports et de la modélisation. Il faut constater que ces hypothèses ont très peu évolué par rapport à l’évolution des questionnements qui provenaient de l’extérieur. Pourtant, la disponibilité d’une base de données plus détaillée et précise (les données de la base CAFT détaillent les flux par O/D à un niveau de détail départemental – NUTS3) par rapport aux données utilisées par Alpetunnel, aurait permis de résoudre en partie les limites dénoncées par le rapport Brossier en 1998 concernant l’impossibilité de tester l’efficacité d’une politique ou d’un investissement en raison de la précision insuffisante et de l’excès d’agrégation des données disponibles.

Malgré ces avancées théoriques et les nouvelles opportunités offertes par des données plus fines, le modèle utilisé par LTF reste un modèle classique, où la demande est estimée à partir des formulations économétriques qui lient la croissance des échanges de l’Italie à la croissance de l’économie italienne, par branche de marchandises. Ces fonctions économétriques sont appliquées aux hypothèses de croissance du PIB pour calculer la croissance des échanges et leur ventilation sur le territoire. Le niveau global de la demande future sur l’arc alpin est ainsi gouverné par la croissance du PIB italien, que l’on estime à des taux plus élevés jusqu’en 2010 (1,8% dans le scénario de base et 2,4% dans le scénario haut) et plus faibles ensuite. Il est en outre déterminé par un coefficient d’élasticité entre le PIB et les échanges estimé à 2,4 et censé décroitre dans le temps. Ainsi, sur la base d’une requête spécifique de la CIG, l’élasticité est estimée à 1,7 après 2010.

Ce choix, qui majore la demande globale en début de période et la réduit dans la phase finale des projections, fait suite à une divergence entre les délégations française et italienne sur la modélisation à retenir. La France conteste les hypothèses macroéconomiques retenues, en faisant appel à la question de l’espace de référence pertinent. Au lieu des prévisions de croissance de l’OCDE à long terme sur l’ensemble de la zone européenne, la Direction de la Prévision réalise des simulations en agrégeant les seuls taux de croissance des pays concernés, qui restituent un taux de 1,4% jusqu’en 2020 au lieu du taux de 1,8% retenu par LTF. Les hypothèses utilisées par LTF sont ainsi jugées optimistes. L’introduction d’une élasticité décroissante dans le temps modère cet optimisme. Ce choix peut en outre être expliqué par la prise en compte de la décroissance dans le temps de l’érosion de l’effet frontière. En effet, l’intégration européenne, en réduisant l’« effet frontière » qui limite les échanges entre les territoires séparés par une frontière, avait pour effet d’amplifier les élasticités des échanges à la croissance économique. Ainsi, conserver l’élasticité constatée durant le processus d’intégration des années 1980 et 1990 aurait conduit à des augmentations explosives des trafics.

La prise en compte d’une réduction dans le temps de l’effet frontière, à travers le recours à une élasticité décroissante, introduit un facteur de découplage dans le modèle. Il s’agit cependant du seul facteur de découplage que nous avons pu trouver dans le modèle utilisé par le promoteur dans les deux phases d’étude. Le choix de ne pas prendre en compte la question du découplage et des apports des nouvelles connaissances en économie des transports a fourni une base pour une nouvelle controverse.