4.4.1.3.L’audit de 2003 et la contestation des études d’APS du promoteur

En février 2003, la publication d’un rapport d’Audit de l’Inspection générale des Finances et du Conseil général des Ponts et Chaussées met en lumière une nouvelle montée des oppositions internes à la growth machine. Les experts appelés à évaluer les grands projets d’infrastructures de transport donnent voix aux réflexions provenant du milieu scientifique. Ils dirigent notamment leurs critiques vers la capacité des analyses macroéconomiques et globales à restituer une image fiable de l’évolution des transports. Cette dernière, selon les experts, « dépendra sans nul doute d’éléments tels que la croissance des échanges internationaux, les modes de consommation et de distribution, l’accroissement de la taille des marchés, la spécialisation des unités de production, le développement du juste-à-temps dans l’industrie et la distribution, et le développement du commerce électronique », ce qui pousse à la nécessité de modifier les outils de l’évaluation des projets, en introduisant des analyses fines et plus fiables. Avec l’Audit, la problématique du découplage passe ainsi du milieu scientifique au milieu institutionnel, sans que les études pour le projet ne l’aient jamais prise en considération. Pour rester dans le cadre de l’analyse macro, les experts de l’Audit remettent, en outre, en cause le faible pouvoir explicatif de l’évolution du PIB pour la croissance des transports dans une économie fortement tertiarisée. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une critique nouvelle. Nous avons mentionné plus haut dans ce chapitre l’exemple des modèles Quinquin fret, qui ont jugé l’indice de la production industrielle comme une variable plus pertinente afin d’expliquer l’évolution du transport de marchandises, ou d’autres modèles qui ont estimé que la baisse de la part de l’industrie dans la production économique et la baisse du poids moyen de la production industrielle constituent deux facteurs de découplage. Prendre en compte le PIB au lieu de l’indice de production industrielle revient, ainsi, à majorer les prévisions de la demande de transport future et à fausser, selon les critiques mises en exergues par l’Audit (2003), les résultats dans le cadre de l’évaluation du projet.

Les critiques soulevées par l’Audit de 2003 portent prioritairement sur les hypothèses considérées à la base de la modélisation effectuée par LTF. Ces hypothèses ont été établies par la commission qui représente directement les deux gouvernements. Les critiques s’appuient sur le fait que les études du projet et, plus généralement l’ensemble des analyses dédiées aux évolutions du contexte alpin franco-italien se sont développée en dehors du milieu académique. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent, la dimension alpine du Lyon-Turin s’est caractérisée, notamment avec la création de LTF, par un resserrement ultérieur du processus décisionnel autour de la figure des deux États, ce resserrement est aussi lisible à travers la réduction des relations entre le milieu académique et le milieu de l’expertise technique des services de l’État ou des services de consultance directement impliqués dans l’évaluation du projet. Cette réduction des échanges entre le monde scientifique et le monde technique est visible dans la distance qui se crée entre les méthodes et les nouvelles connaissances en matière de comportements de mobilité développées dans le milieu académique et les techniques utilisées dans le cadre de l’expertise technique du projet. Le recours à des techniques dépassées permet de ne pas prendre en compte le découplage entre la demande de transport de marchandises et la croissance économique qui pourra se vérifier à l’avenir, ce qui réduit au final les prévisions futures à une prolongation des tendances passées. Les résultats rendus par ces études risquent ainsi d’être biaisés ; ils permettent d’obtenir des prévisions de trafic particulièrement positives du point de vue de l’évaluation du projet, même en présence d’une situation de stagnation de longue date qui est effacée par l’extension de la demande globale à l’ensemble de l’espace alpin.