4.4.1.4.Conclusion

Nous pouvons conclure que l’ensemble des décisions prises par la CIG dans le cadre des études d’APS (le changement d’échelle de référence, les choix de modélisation) vont dans le sens d’un renforcement de la représentation alpine du projet, s’accompagnant d’une occultation parallèle du phénomène de la stagnation qui affecte la partie française de l’arc alpin.

Ces choix déterminent une contradiction. Ils reposent sur le fait que l’argument central dans la justification de la nécessité du projet demeure celui de la forte croissance des trafics et du risque de saturation des passages alpins, alors que ce risque parait de moins en moins probable pour le cas spécifique des Alpes françaises du nord et que, surtout, l’argumentation des discours politiques s’appuie désormais sur des objectifs différents, les enjeux de la défense environnementale et de la sécurité ayant pris la place de l’objectif de l’adéquation de l’offre à la demande. Il est ainsi possible de constater qu’un hiatus est en train de se produire entre la rhétorique du discours politique et la conduite du débat en interne, au sein de la growth machine, où l’examen du projet reste confiné au cadre de l’évaluation de la capacité et de l’adaptation technique de cette capacité. Les déclarations publiques relèvent alors majoritairement d’un affichage politique, construit en s’abritant derrière le volontarisme suisse et autrichien, qui ne trouve cependant pas une traduction concrète dans les mesures envisagées par la France et l’Italie.

Ce hiatus fragilise la cohérence de la justification du projet. Ainsi, cette stratégie, envisagée depuis la création de LTF dans une optique de renforcement du rôle des États dans la conduite du processus décisionnel, affaiblit au final leur position et rend attaquables leur discours, en ouvrant la voie aux contestations. Outre la controverse soulevée par l’Audit française, qui porte prioritairement sur la fiabilité des résultats à utiliser dans le cadre d’une évaluation économique de l’investissement, une deuxième controverse porte plus spécifiquement sur les objectifs politiques associés au projet. Les arguments développés par les analyses techniques du promoteur participent en effet de l’émergence d’une opposition idéologique au projet auprès du milieu militant environnementaliste et d’une partie des riverains, qui aura des conséquences lourdes sur l’évolution de ce débat du côté italien.

Les contestations s’appuient sur le manque de prise en compte de la problématique du découplage dans l’évaluation du projet. Les modèles utilisés sont accusés d’être figés. En se basant sur un lien entre la croissance économique et la croissance des trafics qui ne fait pas l’objet d’un examen critique, ces modèles considèrent qu’aucun autre facteur n’est censé se modifier sinon les deux variables étudiées. Ils sont, par conséquent, accusés de ne par permettre d’envisager les moyens de changement, ni au débat d’évoluer. En se focalisant sur la seule variable de la croissance économique, ils font de cette dernière le seul facteur sur lequel il serait possible d’agir pour déterminer un changement. Cela oriente le débat vers une confrontation entre partisans de la croissance zéro et détracteurs de la décroissance, c’est-à-dire à un point qui avait déjà été abordé et résolu d’un point de vue théorique par le passé, en déterminant l’émergence du concept de découplage. Une partie importante de l’argumentation portée par l’opposition des riverains en Italie, qui est en train de monter en puissance dans la première partie des années 2000, s’appuie justement sur la contestation de cette vision du développement fondée sur une croissance infinie.