4.4.3.3.Conclusion

Avec la création d’un groupe de travail spécifique au sein de la CIG, chargé d’analyser avec LTF les facteurs déterminants du report modal, on passe d’une situation où le rôle des études techniques au sein du processus décisionnel relevait davantage de la passivité à une situation où les études jouent un rôle actif. Désormais, les résultats issus des études ne sont plus utilisés dans une optique de justification, souvent pour démontrer la nécessité du projet, mais ils acquièrent une fonction de planification. Ils servent dès lors à comparer entre elles des mesures différentes pour la résolution d’un même problème, à choisir et combiner ces solutions, à planifier, dans une optique de recherche d’efficacité, une politique qui devient « complexe », parce que faite d’un ensemble composite d’actions et non plus seulement d’une mesure unique, qui ne serait capable à elle seule de garantir l’obtention efficace d’un objectif dans un système complexe.

L’objectif des travaux réalisés par LTF et la CIG reste, en fin de compte, la démonstration de l’utilité du Lyon-Turin, mais cette démonstration s’appuie désormais sur une représentation différente du projet : d’instrument nécessaire et suffisant pour obtenir d’une meilleure organisation des transports de marchandises, il devient une condition sine qua non, mais parmi d’autres, du fonctionnement global d’une politique de report modal. La représentation qui ressort des études sur les conditions de fonctionnement du report modal relève toujours de la justification, mais selon une logique singulièrement plus complexe. Elles mettent en lumière le fait que cet objectif nécessite d’être encouragé et soutenu, parce qu’il pourra difficilement se faire par les seuls mécanismes de marché et que le fonctionnement de ces derniers implique une qualité de service et une fiabilité du transport ferroviaire en nette amélioration, que l’infrastructure actuelle, dit-on officiellement en partie pour ne pas mettre en accusation les opérateurs historiques FS et SNCF, peut difficilement permettre. Dans cette optique la relation de dépendance entre le projet et l’objectif du report modal devient double : d’un côté, l’existence et le financement du projet dépendent de l’existence de mesures efficaces de report modal, de l’autre la faisabilité des autres mesures de report modal repose sur l’existence d’une offre alternative suffisante, en quantité et en qualité, pour permettre le transfert de la route vers le fer.

Cette justification « de second ordre », qui ne fait plus du projet une nécessité en soi, mais la condition de réussite d’un objectif moins attaquable, traduit la forte capacité du projet à évoluer, à se couler dans des problématiques nouvelles, à finalement se trouver de nouveaux alliés. Elle traduit cependant une prise de risque pour le projet. En effet, des mauvaises performances des mesures qui seront prises en faveur du report modal – sur l’itinéraire alpin ou ailleurs en France – avant la réalisation de la ligne nouvelle, ne pourront que fournir des arguments à ses détracteurs. En ce sens, le destin du projet Lyon-Turin lui échappe partiellement puisqu’il dépend par exemple pour partie du succès des services d’autoroute ferroviaire, non seulement entre Rhône-Alpes et le Piémont, mais aussi sur les axes Nord-Sud à travers la France où ils sont initiés actuellement. L’objectif du report modal est donc une nouvelle mise à l’épreuve à laquelle est soumis le Lyon-Turin.

Ensuite, tout en restant dans le cadre de la justification, ce changement dans l’argumentation du projet est d’importance parce qu’il traduit l’enracinement, en bonne partie redevable au Lyon-Turin, d’un nouvel objectif dans la politique des transports de la France et de l’Italie. La transformation est très nette et très rapide. La défense du projet dans un climat de contestation croissante au milieu des années 2000, avec les émeutes du Val de Suse, en Italie et une remise en cause du consensus au sein de l’appareil d’État et de RFF même, en France, appelle une implication de plus en plus concrète en direction de cet objectif. En Italie, la création de l’Osservatorio Virano (cfr. 4.4.5) répond, entre autres, à l’exigence de donner une visibilité au report modal et à la relation entre cet objectif et le projet Lyon-Turin. Le report modal est ensuite inscrit dans le document de programmation économique et financière de 2007 en tant qu’objectif de la politique des transports menée par le gouvernement. En France, il fait l’objet d’une nouvelle vague d’études menées par les collectivités locales et les acteurs économiques territoriaux de Rhône-Alpes, désireux de trouver les moyens pour assurer, à travers la réalisation de cet objectif, la réalisation du projet.