4.4.5.L’Osservatorio Virano et la concertation italienne

En décembre 2005, l’explosion des émeutes du Val de Suse bloque l’avancement des travaux de percement des galeries de reconnaissance engagés par LTF. À cette époque, le promoteur avait déjà commencé la réalisation des trois descenderies du tunnel de base en territoire français. Les travaux pour la quatrième descenderie, localisée à Venaus, en Italie, auraient dû démarrer en 2005, mais leur lancement a été interdit par l’opposition des riverains. Ces derniers ont bloqué l’accès de LTF aux sites où les percements auraient dû avoir lieu. La réalisation des descenderies fait partie, avec le développement des études économiques et techniques, de la mission de LTF. Dans le cadre de cette mission, les descenderies ont trois fonctions différentes : permettre une meilleure connaissance de la conformation géologique des terrains avant le percement des tunnels principaux, accélérer l’avancement des travaux en permettant d’attaquer la montagne à partir de quatre points différents et doter le futur tunnel de base d’une galerie de secours.

Bien que celles-ci soient présentées comme des ouvrages de reconnaissance, la réalisation des descenderies et des galeries marque en réalité le début effectif des travaux de construction du tunnel. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’opposition des riverains du Val de Suse s’est radicalisée à cette occasion. La concrétisation du Lyon-Turin, que représente pour les contestataires le commencement du percement des descenderies, transforme cette opposition verbale et procédurale en une opposition physique. Mais elle contribue aussi à faire évoluer le contenu de l’argumentaire mobilisé par les opposants au projet. Comme le rappelle G. Marengo48, directeur du Service de Planification des Transports de la Provincia de Turin, la première version de cette argumentation est axée à la fin des années 1990 sur un discours sanitaire relatif aux risques liés à la présence d’amiante dans les terrains traversés par l’ouvrage. Après les événements de 2005, les contestataires en viennent à défendre leurs positions avec un discours plus complexe et composite. Le document de 2006 « 100 Ragioni contro la TAV », qui résume les positions de divers comités du mouvement de contestation NO-TAV, mobilise une liste de cent objections à la réalisation de cet ouvrage. Parmi ces objections, le discours sanitaire n’arrive que 8ème sur une liste de neuf questions générales comprenant :

L’ensemble de ces arguments donne la mesure de la montée en puissance de cette opposition et du niveau des connaissances acquises par le mouvement. L’accroissement en termes quantitatifs et d’intensité de l’opposition bloque l’avancement des travaux. La formation d’une expertise profane, c’est-à-dire d’une expertise construite sur le terrain, à partir du croisement de l’expérience empirique des individus et de la fréquentation des milieux scientifiques (Lolive, 1997), oblige le gouvernement italien à élaborer une réponse officielle aux critiques.

Avec l’exonération du Lyon-Turin, en 2006, du champ d’application de la Legge obiettivo et la création, en décembre, de l’Osservatorio tecnico présidé par M. Virano, le nouveau gouvernement italien dirigé par Romano Prodi affiche sa volonté de rechercher un dialogue avec les territoires et de reconstruire le consensus après la rupture de l’hiver 2005. Le ministère des transports confie à l’Osservatorio la mission d’analyser, de manière concertée parmi tous les membres invités à participer aux travaux, quatre thèmes particulièrement controversés du projet afin de parvenir à construire une vision partagée autour de chacun d’eux. Dans ce cadre, les membres de l’Osservatorio doivent étudier ou effectuer une expertise des études déjà réalisées, notamment par LTF :

Ensuite, sur la base des analyses techniques et de leurs propres échanges, ils doivent parvenir à construire un consensus sur plusieurs points : fonder une définition partagée de ces quatre sujets, trouver un accord à propos des mesures chiffrées nécessaires pour rendre compte de ces problématiques, aboutir à des propositions communes. Ce dispositif est envisagé dans le but de contribuer à la construction d’une connaissance partagée du problème du transport dans cette région, étape indispensable à la recherche d’une solution qui rapproche les points de vue sur la base d’une définition du problème collégialement établie. La lettre de mission de création de cette table technique établit que les définitions et les mesures chiffrées retenues pour chaque thème doivent donner lieu à la publication d’un cahier adressé au gouvernement. À partir du moment de la publication, elles ne pourront plus faire l’objet de révision.

La réouverture du dialogue et la recherche d’un consensus passent, ainsi, par l’attribution d’une place centrale au thème de la mesure des phénomènes et en particulier de l’analyse des trafics dans la définition du problème à résoudre et, par conséquent, dans la représentation du projet. Le premier dispositif de concertation mis en place en Italie, après vingt ans de discussion sur le projet, est un observatoire technique.

Notes
48.

Entretien avec Giannicola Marengo. 3 janvier 2008.