La génération de la demande de transports

La première étape est celle de la génération, qui concerne la modélisation des flux émis (origine) ou attirés (destination) par les zones de l’aire d’étude. Cette étape repose sur la mise en relation entre les données de trafic et les caractéristiques socio-économiques des zones concernées pouvant avoir une influence sur la génération de trafics.

Les modèles de génération naissent au début des années 1950 aux États-Unis pour répondre à des exigences nouvelles. Jusque-là, les comptages du trafic étaient suffisants à permettre d’engager des actions de court terme et d’adapter les infrastructures existantes aux trafics existants. Après la deuxième guerre mondiale, la voiture connaît une croissance explosive. L’objectif de la reconstruction d’une part, qui fait augmenter la demande de transport des marchandises et la mobilité des personnes en Europe, et la volonté de l’autre de soutenir l’affirmation et le progrès de l’industrie automobile dans nombre de pays occidentaux encouragent cette croissance, qui fait apparaître rapidement des phénomènes de congestion. Dès lors, il s’agit de construire des nouvelles infrastructures. Les comptages ne suffisent plus et les premières enquêtes sur les origines-destination commencent à être réalisées, dans le but de mieux connaitre les directrices des trafics et ses facteurs déterminants. Les modèles de prévision de trafic sont nés pour répondre à des besoins de plus long terme et permettre ainsi d’accompagner le développement et la croissance de la circulation, ce qui demandait en effet de prévoir et anticiper les besoins de mobilité. Les modèles de l’étape de génération naissent sur la base de cette exigence de distinguer entre une phase de génération de la demande de transports et de distribution des trafics (2ème étape).

En matière de transport de marchandises, l’intérêt des chercheurs pour la problématique de la génération de la demande a été plus faible qu’en matière de déplacement de personne en milieu urbain. Dans ce domaine, les nombreuses revues de la littérature consacrées aux fonctions de demande de transport reviennent peu sur cette problématique et insistent plutôt sur les modèles de choix modal (Winston, 1985 ; Harker, 1987 ; Oum, 1989 ; Jourquin, 1996). Ce constat peut être renforcé par le développement tardif des modèles de demande de transport de marchandises par rapport aux modèles de transport de voyageurs (Ortuzar et Willumsen, 2001). En effet, les modèles de demande de transport de marchandises ont longtemps été conçus en adaptant des modèles dédiés à l'étude de la demande de transport de voyageurs, même si depuis quelque temps on observe qu'un certain nombre de méthodes sont développées afin d'aborder des problèmes absolument spécifiques à la modélisation du transport de fret. La littérature identifie deux catégories de modèles de génération de la demande de transport de marchandises, que nous allons présenter brièvement ici en empruntant au travail de classification réalisé par Brunel dans sa thèse (2007).

Comme pour le voyageur, le premier groupe comprend les modèles issus de l’économie internationale et, plus particulièrement, de l’équation gravitaire, qui, en analogie avec la loi de la gravitation universelle, repose sur l’idée que l’attraction entre deux zones (le trafic) est d’autant plus forte que le poids de chacune des zones est important. L’importance des zones est mesurée par des facteurs démographiques et socio-économiques. Leur attraction est ensuite pondérée par la distance qui les sépare ou, plus fréquemment, par le coût généralisé du déplacement entre les deux zones. Parmi ces modèles, la thèse de Brunel propose une distinction en deux catégories.

Dans la première, on retrouve les modèles gravitaires pures. Ces modèles utilisent l’équation gravitaire pour estimer les déterminants des échanges internationaux (l’impact de la distance, d’une union douanière ou monétaire, etc.) ou pour étudier la distribution de la demande de transport de marchandises. Toutefois, même si le modèle gravitaire a pu être utilisé pour prévoir la demande de transport, il reste un outil prioritairement utilisé dans l’étude de la distribution des trafics. Dans la deuxième catégorie, on retrouve les modèles inspirés du modèle gravitaire, qui associent l’étape de la génération et l’étape de la distribution pour prévoir la demande de transport de marchandises à long terme. Il s’agit des modèles input-output multirégionaux, qui reposent sur des matrices d’échanges entre régions, souvent désagrégées par type de produits. En formulant des hypothèses sur l’évolution économique de chaque région et de chaque sous-secteur industriel, ces modèles permettent à la fois d’expliquer la distribution des flux dans l’espace et de prévoir la demande de transport de marchandises à long-terme (Durand, 2001).

Le deuxième groupe comprend les modèles économétriques agrégés, où la fonction économétrique de la demande de transport de marchandises repose sur l’estimation de la relation agrégée entre la demande de transport de marchandises et un ensemble de variables explicatives, notamment la production industrielle ou l’activité économique. Pour estimer la sensibilité (élasticité) de la demande de transport par rapport à la variable explicative choisie (habituellement le PIB ou l’IPI, l’index de la production industrielle), les modèles ont recours à des techniques économétriques différentes.

Un premier sous-groupe est celui des modèles économétriques qui utilisent des techniques économétriques standards pour estimer l’élasticité. Parmi ces modèles, le modèle double-logarithmique est le plus couramment utilisé. Il repose sur l’idée que la demande de transport de marchandises est une demande dérivée de la production économique et représente cette relation à travers une fonction de type Cobb-Douglas (Tspt = k· PIBt ). Sur la base de cette fonction, l’élasticité de la demande de transport (Tspt) par rapport au PIB (PIBt) corresponde au paramètre qui est supposé constant dans le temps. Le succès de ce modèle s’explique notamment par la simplicité de son estimation. Son utilisation est en effet, courante pour l’ensemble des prévisionnistes en économie des transports, tant dans les administrations que le privé. Ces modèles ont été aussi fréquemment utilisés dans les études de prévision des trafics à travers les Alpes. Néanmoins, le succès de cette méthode se heurte aux limites importantes qu’elle présente, en ce qui concerne notamment la présomption de stabilité implicite dans l’usage d’un paramètre d’élasticité constant dans le temps. A priori, rien ne permet en effet de justifier l’hypothèse que la même relation ayant lié l’évolution de la demande par le passé se reproduise par le futur. Il est, au contraire, fortement probable que cette relation varie, ce qui rend les résultats des prévisions fondées sur une technique économétrique standard peu fiables.

Pour répondre à cette critique, d’autres modèles ont été développés, permettant d’abandonner l’hypothèse d’élasticité constante. Le modèle en taux de croissance, par exemple, permet d’introduire une hypothèse d’élasticité variable. Un exemple est le modèle Quinquin fret, développé dans son travail de thèse par Gabella-Latreille (1997). Ce modèle, en postulant l’existence d’une relation linéaire entre le taux de croissance de la demande de transport de fret et le taux de croissance de la production industrielle, permet de trouver une élasticité de la première variable par rapport à la deuxième qui est inversement proportionnelle au taux de croissance de l’indice de la production industrielle. Autrement dit, dans le modèle en taux de croissance, l’élasticité de la demande de transport de marchandises par rapport à la production industrielle est variable. Malgré le fait que de nombreux économistes des transports estiment que rien ne justifie l’hypothèse d’une élasticité constante, ce modèle a connu un nombre limité d’applications.

Un troisième sous-groupe de modèles économétriques est celui des modèles de l’économétrie des séries temporelles qui analysent les relations entre séries temporelles. Ces modèles, dont les développements sont plutôt récents, constituent un outil particulièrement adapté pour estimer la sensibilité de la demande de transport à l’activité économique (Bruner, 2007).