3. L’évolution de la modélisation en France

L’État français a été l’acteur central dans l’introduction, pendant les années 1960, des modèles à quatre étapes en France. C’est, en effet, le ministère des Travaux publics qui, à cette époque, a commencé à envoyer des ingénieurs du corps des ponts et chaussées aux États-Unis pour étudier les différents moyens mis en œuvre par les ingénieurs américains pour prévoir les futurs déplacements de personnes dans leurs agglomérations (Dupuy, 1975). Ce processus de mise en place d’une expertise française en matière de modélisation des déplacements s’accompagne par la création de plusieurs structures (le SERC, le SETRA, le CERTU, à l’époque CETUR, les CETE et, dans le cadre de la recherche, l’INRETS) qui vont prendre en charge systématiquement la question de la prévision des déplacements à travers le traitement des pratiques de modélisation.

Le rôle novateur de l’État dans le développement des méthodes utilisées dans le cadre de cette modélisation évolue assez vite dans le temps, en s’arrêtant sur une fonction de « normalisation » des pratiques de modélisation (Chatzis et Crague, 2007). A partir des années 1960, l’État choisit et normalise, parmi les différents outils qui sont développés dans le domaine de la modélisation, un nombre réduit de modèles pour chaque étape. La prédominance des organismes publics dans la réalisation des études de trafic favorise la diffusion et l’affirmation de ces modèles standardisés sur l’ensemble du territoire national et participe, ainsi, de ce phénomène « d’inertie institutionnelle » qui, selon McNally (2007), a alourdi et ralenti le processus d’innovation dans ce domaine. Cela expliquerait ainsi pourquoi la présence de la France, très impliquée dans les années 1960 dans le développement de ces outils, s’est réduite par la suite. À l’exception de quelques contributions, dont le modèle prix-temps, les outils mis en place en France dans les années 1970 ont connu peu d’évolutions. Ces modèles, qui sont encore utilisés aujourd’hui, répondent à des problématiques qui étaient actuelles à l’époque, centrées notamment sur le dimensionnement et l’évaluation des nouvelles infrastructures. En revanche, ces outils se révèlent moins adaptés aux problématiques plus récentes, qui privilégient une meilleure utilisation des infrastructures existantes, dans une perspective de développement durable. Dans cette optique, en effet, il s’agit plus d’évaluer une politique de transport et les impacts de mesures diverses sur le comportement de la demande de transport, que d’évaluer des infrastructures de transport. La montée en puissance des problématiques de l’intermodalité a favorisé l’outil de l’approche désagrégée, davantage utilisée dans les modèles de choix modal. En transport de marchandises, la réponse aux questions relatives à la congestion et aux problématiques environnementales a été cherchée notamment en faisant recours aux outils de modélisation de choix modal, alors qu’une moindre attention a été portée aux outils de modélisation de la génération de la demande de transport et aux possibilités d’étudier à travers les déterminants de la demande les impacts des mesures de politique de transports pouvant influencer le comportement de la demande de transport. Le cas des études réalisées dans le cadre du projet Lyon-Turin confirme cette pratique. Nous avons vu, en effet, qu’avec la création du groupe de travail « Report Modal », la CIG franco-italienne a utilisé le nouveau modèle de répartition modale de LTF pour tester l’impact et la faisabilité des politiques de transport transalpines négociées à l’échelle de l’espace alpin.