5.2.L’espace alpin dans le Lyon-Turin : la contribution du projet à l’évolution du processus d’élaboration des politiques de transport alpines

Nous avons vu, lors de l’analyse des dimensions et des études du projet dans les chapitres 3 et 4, que la phase de l’alpinisation du Lyon-Turin a fourni les éléments nécessaires pour ré-compacter la growth machine et élargir le consensus à l’intérieur de celle-ci. En territorialisant les deux concepts du report modal et de la co-modalité, défendus à l’échelle alpine et à l’échelle européenne, il a permis à certains acteurs de se repositionner (c’est le cas par exemple des représentants institutionnels de l’opposition italienne du Val de Suse et des verts italiens) et peut-être infléchi en même temps l’hésitation des acteurs plus distants du projet au sein de la growth machine (les experts techniques du ministère français, par exemple). L’alpinisation du Lyon-Turin correspond, en effet, à une représentation nouvelle du projet. En ne positionnant plus le projet uniquement comme une mesure de politique d’infrastructure, mais comme une mesure faisant partie d’une politique plus large de transport, inscrite dans une démarche européenne et alpine à la fois, on a pu, d’un côté, démontrer un déplacement du centre de la décision, qui désormais ne concerne plus seulement les deux gouvernements de la France et de l’Italie, mais l’ensemble de l’espace alpin et de l’Europe, et, de l’autre, mettre en avant des objectifs politiques susceptibles d’être mieux partagés.

A travers l’inscription du projet dans l’espace alpin, le consensus sur le projet se relie au partage des objectifs « alpins » et à l’évolution des négociations autour de l’élaboration d’une politique des transports coordonnée à l’échelle alpine. En même temps, l’espace alpin s’inscrit dans le Lyon-Turin : l’évolution du projet exerce dès lors une influence sur l’affirmation d’une question spécifiquement alpine des transports et sur la légitimité d’une dimension alpine des politiques de transport. Ainsi, l’adoption d’une dimension alpine lie en même temps le destin du projet à l’évolution du débat politique entre les pays alpins sur les mesures à mettre en œuvre dans le cadre de la gestion des trafics transalpins et les objectifs poursuivis à travers ces politiques à l’évolution du projet. Nous essayerons de montrer comment, en effet, le Lyon-Turin, une fois installé dans la dimension alpin, a fourni à son tour un appui important au renforcement des objectifs défendus par l’ensemble des pays alpins, en légitimant le rôle des États français et italien à intervenir dans des politiques de réglementation des trafics transalpins, lors de leur implication tardive sur la question alpine des transports.

Cette partie s’attache, après une première partie récapitulative des éléments d’inscription du projet à la dimension alpine (5.2.1), à analyser le rôle du Lyon-Turin dans le renforcement de la cohésion interne à un espace alpin des transports et son apport au développement des politiques alpines de transport (5.2.2).