Objectifs et limites de la recherche

Cette dernière partie de la thèse est donc conçue dans le but d’apporter une réponse à la question de savoir s’il est possible de parler d’émergence d’un espace alpin en référence à une problématique spécifique des transports alpins. En s’appuyant sur une analyse prenant en compte tant les outils techniques de mesure nécessaires à l’élaboration politique que l’évolution des politiques de transport étudiées et mises en place à l’échelle alpine, nous tâcherons de retrouver les éléments explicatifs de l’émergence et affirmation d’un « espace alpin des transports » et d’analyser les enjeux de la construction d’un nouvel espace de coordination politique au sein du territoire européen.

Les formes de coopération et d’échange entre les régions alpines dans les activités d’étude et d’élaboration politique amènent effectivement à s’interroger sur la portée de ces expériences quant à l’affirmation d’un nouvel espace géopolitique. Nous sommes conscients du fait que ces expériences de coordination touchent un ensemble vaste de thèmes et de domaines, tels que l’environnement, les secteurs économiques ou de questions culturelles et de société, et que, par conséquent, l’analyse de l’émergence d’un nouvel espace géopolitique ne peut se résumer à la prise en compte des problématiques relatives aux transports. Néanmoins, plusieurs raisons nous ont conduit à effectuer ce choix.

Tout d’abord, la question des transports et des trafics qui affectent l’arc alpin revête un rôle important pour les territoires de cet espace, qui en ont fait l’un des thèmes centraux dans les débats et les dispositifs de concertation. Ainsi, par exemple, les travaux issus de la Convention alpine, l’accord-cadre signé par les huit pays de l’arc alpin en 1991 et visant la protection des Alpes, ont largement porté sur les transports, malgré le fait que le traité soit aussi composé de protocoles d’application dans sept autres domaines d’intervention.

Ensuite, la focalisation sur les questions de transport nous permet d’aborder aussi d’autres domaines importants de l’argumentation et de la construction d’une coopération alpine, notamment les questions environnementales. En effet, les transports ne sont pas simplement un enjeu technique, mais ils se situent à la frontière de plusieurs autres domaines. Les décisions concernant les transports font se croiser des considérations environnementales, économiques et de protection des territoires, avec des questions sociales, culturelles et démographiques. Ainsi, la prise en compte de la seule dimension des transports dans la construction d’un espace alpin représente une simplification à la fois nécessaire par rapport aux objectifs de cette thèse et satisfaisante par ce qu’elle permet de voir, les questions de transport touchant la plupart des thèmes portants qui ont présidé à la construction d’un espace alpin. L’argumentation mobilisée dans le cadre, par exemple, de la création de la Convention alpine fait appel à la nécessité « d’harmoniser les politiques des pays signataires en vue de concilier les intérêts économiques en jeu dans le massif alpin avec les exigences de protection d’un patrimoine naturel menacé » (Convention alpine, 2006). Dès lors, la négociation d’une politique des transports partagée à l’échelle alpine est censée apporter une réponse à cette double exigence. Elle est conçue dans l’optique de trouver un point de compromis entre ces deux objectifs souvent contradictoires qui sont défendus par l’ensemble des acteurs alpins, même si avec des proportions et un ordre de priorité des différentes considérations à prendre en compte variable selon les territoires et les acteurs concernés.

Enfin, la dernière raison tient à la place qu’occupe cette partie de la recherche dans le plan général de la thèse. L’analyse que nous allons conduire dans cette partie du travail ne se propose pas le même objectif d’exhaustivité que la partie précédente. Il ne s’agit pas de conduire une analyse du processus de la coopération technique et politique alpine à l’image de celle développée pour étudier le processus décisionnel du projet Lyon-Turin. L’objectif ici est de pouvoir compléter et vérifier les résultats issus de l’étude de cas. Il s’agira donc de retrouver, à travers une revue critique des dispositifs alpins de mesure et d’observation des trafics et des expériences alpines d’élaboration et négociation politique en matière de transports, les éléments qui permettent de confirmer et d’expliquer l’émerge d’un espace alpin des transports. Cette partie doit permettre de détailler la description de ce processus d’alpinisation que nous avons lu à travers l’évolution du projet Lyon-Turin, en prenant en compte l’ensemble des acteurs concernés par cette construction, les enjeux qui y sont attachés, les arguments et les thèmes mobilisés dans ce cadre. Elle peut donc être considérée comme une conclusion et généralisation de l’étude de cas et une ouverture pour des recherches et des réflexions ultérieures.