6.3.1.1.Les Alpes en Europe : la politique agricole et la politique d’intégration territoriale dans l’émergence d’une question de la montagne

La naissance de l’espace alpin est ainsi à replacer dans le cadre de la définition d’une politique territoriale européenne et de l’élaboration d’un programme de coopération transnationale parmi les pays membres. Ce programme, qui envisage la mise en place de nouvelles relations territoriales, nécessite de repenser la spécificité des territoires en présence et de redessiner le cadre des intérêts communs. L’espace alpin que l’on observe aujourd’hui se compose, en effet, d’un ensemble de pays pour lesquels les Alpes ne représentent pas toujours une référence centrale. Pour la France par exemple, les Alpes ne concernent qu’une partie très limitée de son territoire, alors que l’Italie y fait référence en tant qu’objet spécifique essentiellement en termes de séparation et de frontière : les Alpes la divisent du reste de l’Europe, entravent ses échanges avec les autres pays du continent et marquent au nord les limites de son territoire national. A côté de ces pays périphériques alpins, on retrouve les pays alpins centraux, la Suisse et l’Autriche, pour qui la référence aux Alpes est centrale dans l’histoire nationale et dans la construction de l’identité du pays. Dès lors, l’existence d’un espace alpin reconnu par l’ensemble des pays alpins – en tant que terrain d’action spécifique et coordonnée sur des problématiques précises – n’est pas évidente. Dans ce cadre, l’intervention européenne s’avère fondamentale pour le passage d’une situation dans laquelle les Alpes se configurent comme un lieu de conflit et de compétition entre exigences et visions opposées à une situation où elles s’affirment en tant qu’espace de coopération transfrontalière. Tout d’abord, le processus d’intégration européenne change le statut d’un territoire alpin qui regroupe essentiellement des régions frontalières. En abolissant les frontières, il participe de l’augmentation des échanges et des déplacements et favorise une coopération interculturelle plus ample. Deuxièmement, les premières politiques publiques à l’échelle européenne reconnaissant une spécificité montagnarde dessinent une nouvelle représentation des Alpes et ouvrent un parcours qui amènera à l’émergence et à l’affirmation d’un espace alpin au sein des politiques d’intégration territoriale européennes. La montagne fait sa première apparition dans le cadre de la politique rurale pour les zones défavorisées en 1975. La directive 75/286/CEE sur les zones défavorisées donne une première définition des zones de montagne en les reconnaissant comme un espace d’intervention spécifique dans les domaines de la forêt, de la défense des sols et des aides aux zones agricoles désavantagées. Les actions relatives aux activités agricoles visent non seulement à limiter des phénomènes physiques, comme l’érosion des sols, mais aussi à contenir des phénomènes démographiques, tels que l’émigration et le dépeuplement. La représentation des régions de montagne qui ressort des premières actions de la politique rurale européenne tend donc à opposer ce territoire au reste du continent sur deux plans différent. Premièrement, elles sont représentées comme un territoire aux spécificités morphologiques particulières qui contraste de ce point de vue avec le reste du territoire européen. Ensuite, elles sont décrites sur la base des caractéristiques économiques, environnementales et socioculturelles propres aux espaces de montagne qui les différencient d’un point de vue fonctionnel du reste du territoire européen. Leur inscription dans le cadre d’action communautaire se fonde sur l’affirmation d’une représentation des régions de montagne en tant que des territoires en déclin et marginaux, vers lesquels il convient d’orienter les interventions de relance démographique et socio-économique, en accord avec le règlement-cadre défini par la Directive 268/75. C’est sur la base de cette définition que la région alpine est intégrée à la politique régionale des fonds structurels, dont la finalité est le rééquilibrage socio-économique des zones désavantagées de la Communauté.