6.3.2.2.Les avancées de la Convention alpine

Malgré la longueur du processus de ratification de la convention et de ses protocoles applicatifs, ces dernières années ont marqué des avancées importantes. Sur un plan organisationnel et pragmatique, parmi ces avancées on doit mentionner la mise en place d’un Secrétariat permanent en 2002, qui a coïncidé avec une accélération des procédures de signature et de ratification ainsi qu’un plus fort engagement des signataires. Toujours en 2002, en effet, les protocoles ont pris effet dans trois des huit pays, en Allemagne, Autriche et Liechtenstein. Ensuite, toutes les parties contractantes de la convention, doivent désormais rendre compte tous les quatre ans de l'état d'application des dispositions prévues par la convention et ses protocoles, en suivant un modèle donné. Enfin, l’adoption en 2004 d’un programme de travail pluriannuel a constitué une avancée concrète en direction d’une dynamique d’action plus constructive. La Convention alpine est à ce jour le seul traité international en faveur d’un développement durable dans une région de montagne. Elle a déclenché un processus de collaboration à l’échelle alpine, par-delà les frontières nationales et dans tous les domaines. De par son existence, elle a en outre encouragé un nombre considérable d’autres activités pan-alpines.

En quelque sorte, l’engagement des États dans ce processus – qui puise ses origines dans un mouvement plus large et de longue date – participe à rendre ce parcours de construction d’un espace alpin irréversible. Jusqu’au moment de la création d’une Convention alpine, en effet, les différents mouvements d’origine variée (associative, politique, professionnelle ou scientifique) qui ont fait des Alpes un lieu emblématique de la protection de la nature et de l’environnement n’ont pu qu’avoir une influence limitée aux politiques décidées et appliquées à l’échelle nationale, avec des différences importantes, par conséquent, au niveau de l’arc alpin dans son ensemble. La création de la Convention alpine représente une évolution nette par rapport à une situation dominée par des initiatives individuelles, de chaque pays, et souvent sectorielles. Ce traité se caractérise, en effet, par une approche globale des problèmes, comme en témoigne l’ampleur des thématiques prises en compte par les protocoles d’application. Cette approche, associée à la négociation des principes politiques et à la coopération technico-scientifique dans le cadre d’activités de recherche visant à étudier les phénomènes qui concernent cet espace, représente un nouvel élément fédérateur et important, censé donner une cohérence aux interventions politiques dans des domaines variés le long de l’arc alpin. Ainsi, la nouveauté plus importante apportée par cette instance consiste dans le dépassement de la logique ponctuelle et dépourvue d’une vision d’ensemble des problèmes qui avait caractérisé les initiatives de coopération transfrontalière mises en place sur base spontanée66 ou dans le cadre des programmes de coopération territoriale communautaire. La mise en place de ces programmes, organisés autour de projets concrets, avait participé au renforcement d’une logique d’actions ponctuelles et sectorielles, qu‘à travers la Convention alpine, les États cherchent à dépasser.

La seconde avancée permise par la Convention alpine est de dépasser les limites d’une coopération ancrée sur une action uniquement régionale. L’éloignement de la coopération de la sphère d’intervention des États au cours des années 1970 et 1980 a représenté une limite politique évidente dans certains domaines importants, tels les transports ou l’environnement, qui nécessitent d’approches et d’actions globales, sur large échelle, et qui ne sont pas du ressort des collectivités locales. Ainsi, même si dans la plupart des pays alpins les régions sont en charge de nombre de politiques de développement des zones de montagne, elles ne sont néanmoins pas en mesure de résoudre les problèmes structurels qui impliquent plutôt une intervention articulée avec celle des États. La politique internationale est aussi un champ d’investissement très récent pour la plupart de ces instances, qui ne possèdent pas les compétences nécessaires, ni beaucoup de ressources et qui se heurtent sur ce point à la vigilance des Etats souvent jaloux de leur souveraineté. Mais la coopération régionale présente aussi une autre limite qui tient à la disparité des fonctions et des rôles que les régions ont au sein de leurs États respectifs. Ainsi, face à l’autonomie des régions en Italie, en Suisse (cantons), en Autriche et en Allemagne (Länder), qui exercent de longue date des larges responsabilités, les régions françaises disposent de compétences beaucoup plus réduites et des capacités d’intervention financière limitées.

Enfin, il faut considérer les difficultés et les limites d’intervention de l’Union européenne elle-même dans les domaines spécifiques de l’environnement et des transports. A l’époque précédant la création de la Convention alpine, l’UE ne disposait encore dans ces deux secteurs que d’une politique embryonnaire. Elle cherchait à assoir sa légitimité dans ces domaines et à définir les orientations et les moyens d’une politique spécifique tant en matière d’environnement que de transports. En second lieu, pour ce qui concerne plus spécifiquement la région alpine, ses marges d’intervention sont fortement limitées par la présence de la Suisse. En effet, la présence de ce pays et, jusqu’à son adhésion à l’Union en 1995, de l’Autriche, limite le champ de l’intervention européenne. Elle réduisait les possibilités de coordination politique sur des sujets complexes et conflictuels, ayant un impact étendu sur l’ensemble du territoire alpin. L’entrée de l’Autriche dans l’Union européenne n’a pas amélioré la situation, mais a, en quelque sorte, aiguisé les sources potentielles de dissension, en exacerbant le conflit entre ces deux pays aux caractéristiques géographiques, aux exigences environnementales et à la configuration des enjeux en matière de transports très similaires, les distinguant nettement des autres pays de l’arc alpin. A partir de ce moment, en effet, l’Autriche s’est retrouvée en situation de devoir subir les conséquences des mesures politiques restrictives vis-à-vis du transit routier engagées par la Suisse sans pouvoir y répondre librement. Dans cette situation conflictuelle, la Convention alpine apporte de nouvelles solutions. Au cours des années 1990, elle représente, en effet, le seul dispositif qui réunit au sein d’une même instance l’ensemble des pays de l’arc alpin et qui permet de concevoir une action globale pour des problèmes communs. Dernier élément de contexte : le territoire alpin s’inscrit dans un système de subventions accordées aux régions rurales et défavorisées. Or, après l’élargissement à l’est de l’Union européenne, les régions doivent présenter des arguments conséquents afin de pouvoir encore bénéficier des fonds publics dans un climat de réduction générale des fonds structurels, alors même que l’espace alpin dans son ensemble, ne peut plus être considéré comme économiquement défavorisé. C’est sur leurs spécificités alpines, en particulier en matière environnementale, que les territoires alpins reconstruiront leur argumentaire.

Notes
66.

Déjà à partir du milieu des années 1970, en effet, l’émergence des pouvoirs locaux et régionaux avait donné naissance à plusieurs associations transfrontalières. Des communautés de travail s’étaient alors créées à l’initiative des collectivités locales avec l’objectif de favoriser la concertation dans un certain nombre de domaines: Arge Alpen Adria, Cotrao… (voir note de bas de page n. 64)