6.3.2.3.La place du développement durable dans la négociation d’une Convention alpine

La montée en puissance des préoccupations liées au développement durable a déplacé les problématiques de la recherche scientifique et modifié les thèmes des agendas politiques à tous les niveaux de gouvernance. L’affirmation d’une pensée environnementale traduit l’imposition d’un principe de pluridisciplinarité et d’une approche systémique, qui impliquent d’étudier chaque phénomène dans ses relations avec la société et le milieu physique, comme une résultante de l’évolution simultanée des facteurs humains et naturels : le concept de développement durable repose donc sur une vision systémique de la réalité « en tant que réseau inséparables de relations » (Pileri, 2002). La priorité du développement durable est de trouver des modes originaux et viables de coexistence avec le milieu naturel. Plus concrètement, cet objectif postule la poursuite du développement économique sans dommage irréversible pour la planète ni mise en cause du bien-être des générations futures.

L’intégration de l’objectif du développement durable dans la Convention alpine, où il vient remplacer celui de la protection environnementale, marque une étape importante dans le processus de la Convention. Il favorise notamment une meilleure acceptabilité du traité et de ses protocoles à l’échelle alpine, il fait de la convention un « objet frontière », c’est-à-dire en mesure « de permettre une coordination sans consensus entre des acteurs des mondes sociaux qu’il connecte » (Lolive et Tricot, 2000). Désormais ce traité, né de l’activisme du milieu militant, présente une certaine souplesse. D’un document strictement orienté vers la protection, il s’est transformé en un outil de conciliation entre deux visions antagonistes non seulement des Alpes, mais aussi, plus globalement, du développement et d’avenir. Au sein du concept de développement durable, l’opposition entre la protection environnementale et la croissance économique tend à s’estomper. La réconciliation qu’il permet entre ces deux exigences – d’un côté le soutien au développement économique et de l’autre la prise en compte des valeurs environnementales, paysagères et du cadre de vie des populations alpines – réduit pour partie la puissance du traité, mais de l’autre elle facilite la construction d’un consensus autour d’un objectif qui a perdu son inspiration « écolo » d’opposition radicale à toute forme de développement et se contente désormais de fixer des limites à certains excès. L’affirmation de cet objectif au centre du processus de négociation alpin marque un avancement important en termes d’apprentissage du système. La plus grande souplesse du texte et la capacité des groupes de travail de la Convention alpine à revoir périodiquement les questions auxquelles le traité s’était attaché dès l’origine amène Gerbaux, au milieu des années 1990, à définir les Alpes comme un « laboratoire » d’expérimentation de la production des politiques publiques. Le processus de négociation de la Convention alpine fournirait, à son avis, un exemple de comment une politique publique européenne peut être construite à la fois sans une imposition des décisions prises à Bruxelles sur la base d’une approche technocratique ni par simple addition de différentes politiques nationales.