Chapitre 7 - L’espace alpin dessiné par la géographie des trafics

Introduction

La question des transports est un thème d’actualité qui génère une importante activité de recherche scientifique et occupe une place importante au sein des agendas politiques à des échelles de gouvernance différentes. L’approche scientifique de cette question a évolué au fil du temps. Les infrastructures de transport et la circulation ont été prioritairement étudiées comme des facteurs de développement économique par le passé, alors que désormais les questions d’atteinte à la qualité de vie des populations et à l’environnement sont de plus en plus prégnantes lors de l’analyse et de l’élaboration des politiques de transport.

Dans ce cadre, l’espace alpin ne fait pas exception. Les choix infrastructurelles de la politique des transports dans cette région ont été marqués au cours des décennies de l’après guerre par l’idée qu’une meilleure accessibilité était indispensable pour éviter un risque de marginalisation économique qui aurait été particulièrement significatif pour les territoires alpins en Europe du fait de leur enclavement naturel. Dans une telle optique, le transport routier venait apporter des réponses qui paraissaient tout particulièrement adaptées au milieu montagnard. La souplesse de ce système et des infrastructures qu’il nécessite, comparé au mode ferroviaire, a ainsi dicté les choix en matière d’investissements infrastructurels pendant une période assez longue à partir de la fin des années 1970. Aujourd’hui, tant la place du transport routier que, plus globalement, celle du paradigme de la relation transports-économie sont remises en question, comme nous l’avons abordé dans la partie précédente de cette thèse73. La question que nous nous sommes posée est de savoir si cette nouvelle approche des problématiques de transport a eu un impact ou une résonance particuliers au niveau de la région alpine, si son affirmation a modifié la gouvernance de la question des trafics qui traversent ces espaces, tant pour ce qui concerne le cadre des acteurs impliqués dans la construction des mesures nécessaires à cette gestion et leurs relations que pour ce qui concerne le contenu des négociations autour de l’élaboration et de la mise en place de ces mesures.

Pour répondre à cette question, ce chapitre s’attache à étudier l’évolution de la représentation de la question des transports et du franchissement alpins, en se focalisant sur une analyse des outils techniques de mesure et d’observation des flux de trafic mis en place à l’échelle des Alpes. Notre objectif est de montrer en quoi ces outils et leurs usages ont permis de construire des représentations différentes de la problématique des trafics transalpins et de leur gestion, en façonnant ainsi la négociation et les décisions politiques des différents acteurs et territoires dont se compose l’espace des Alpes. Dans cette optique, la première partie dresse une description de la multiplicité de représentations de la question des trafics alpins selon les acteurs et au fil du temps (7.1). A partir d’une première description des différentes relations que les régions alpines ont entretenu avec les transports au cours de l’histoire (7.1.1) et du positionnement des différents acteurs (7.1.2) concernés par les trafics transalpins au sujet de leur gestion (les États, les territoires locaux, mais aussi l’Union européenne, qui vient à considérer de plus en plus fréquemment l’espace alpin dans les dispositifs législatifs et réglementaires qu’elle met en place), cette partie envisage de fournir un cadre synthétique des problématiques et des points de conflit inhérents à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de transports qui touchent aux trafics de cette région. Ce cadre problématique et conflictuel pousse néanmoins à la recherche de solutions, qui nécessitent, pour pouvoir se concrétiser, d’une plus large homogénéité de représentation du problème de départ. La deuxième partie du chapitre s’attache à décrire les évolutions récentes de cette recherche d’harmonisation (7.2), en retraçant l’émergence et l’affirmation d’un besoin de dispositifs d’observation et de mesure du phénomène en question communs, au sens de pan-alpins, et la relation entre cette recherche de coopération technique avec une exigence de coordination politique. Les parties 7.3 et 7.4 développent une analyse de ces outils issus de la coopération technique alpine et étudient leurs impacts sur la construction d’une nouvelle représentation de la question des trafics transalpins. L’objectif de cette étude est d’analyser l’émergence en Europe d’un espace géopolitique des Alpes autour de la question de la gestion des trafics. Nous souhaitons plus particulièrement comprendre les interrelations entre la démarche technique, qui a présidé à la mise en place de nouveaux outils et dispositifs, et l’évolution du processus d’élaboration politique, qui sera l’objet d’une analyse plus approfondie dans le chapitre 8, sur les politiques de transport alpines. L’hypothèse que nous faisons est que la mise en place des systèmes d’observation spécifiquement dédiés à l’analyse des trafics transalpins a considérablement modifié le cadre de la négociation entre les intérêts divergents des pays alpins, avec des impacts importants tant sur le contenu et l’extension des mesures politiques de transport fret envisagées que sur les formes d’organisation des acteurs en charge de l’élaboration de ces politiques dans les différents pays alpins.

Notes