7.1.3.Les différents trafics alpins : des définitions contradictoires

Plusieurs types de trafic traversent les points de franchissement de la chaîne alpine et connaissent des définitions variables selon les acteurs qui les observent. En effet, le système de transport de l’espace alpin se compose d’un ensemble de sous-systèmes de transport local, régional, national et international, de fret et de voyageurs, qui utilisent, dans la plupart des cas, les mêmes infrastructures ferroviaires et routières présentes dans la région. Cela explique les conflits existants entre acteurs différents autour de la gestion et la régulation de ces trafics, qui, en consommant ces ressources rares que sont les traversées alpines, affectent des échelles territoriales différentes et touchent à des intérêts variés. Ces différences expliquent les appellations variables avec lesquelles on décrit les différents types de trafic.

En général, on définit comme « trafic transalpin » le trafic de marchandises ou de voyageurs traversant la principale chaîne alpine. Néanmoins, dans les bases de données nationales, les différents pays ne font pas mention de cette définition, qui est remplacée par trois autres catégories : le trafic compté aux passages alpins est défini comme trafic de transit, trafic d’échange ou trafic intérieur, selon ses origines-destinations. Le trafic de transit est donné par la somme du trafic voyageurs et marchandises reliant un point de départ et un point d’arrivée situés à l’extérieur du pays auquel appartient le passage alpin observé, ou même à l’extérieur du pays qui produit l’information84. Le trafic d’échange se compose du trafic d’importation, voyageurs et fret, reliant un point de départ et un point d’arrivée situés respectivement à l’extérieur et à l’intérieur du pays d’appartenance du passage alpin observé d’une part, et du trafic d’exportation, voyageurs et fret, reliant un point de départ et un point d’arrivée situés respectivement à l’intérieur et à l’extérieur du pays considéré d’autre part. Le trafic intérieur a son point de départ et son point d’arrivée à l’intérieur du pays auquel appartient le passage alpin observé. Le point de vue considéré dans ces définitions est donc toujours local ou national et de ce fait remis en question dans une optique pan-alpine. Dans le protocole Transport de la Convention alpine, en effet, l’article 2 définit les trafics alpins en distinguant entre deux catégories : le « trafic transalpin » et le « trafic intra-alpin ». Font partie du premier groupe tous les trajets ayant leur point de départ et d’arrivée à l’extérieur de l’espace alpin ; du deuxième, tous les trajets ayant leur point de départ et/ou d’arrivée à l’intérieur de l’espace alpin. Selon ce schéma, le « trafic intra-alpin » se décline ultérieurement en trafic intérieur, trafic d’importation et trafic d’exportation, qui dans le cas précédent ne rentraient pas dans une catégorie de trafic commune alpine. Le point de vue adopté par cette nouvelle distinction est celui spécifique de l’espace alpin.

Le trafic à travers les frontières nationales peut rentrer ainsi dans différentes catégories selon les points de vue adoptés. Selon le critère qui privilégie la prise en compte du point de départ et d’arrivée par rapport aux frontières nationales respectives, il peut être défini comme trafic d’import, d’export ou de transit. Par exemple, un trajet qui relie une zone de l’espace alpin en Allemagne avec une autre zone en Italie en passant par la Suisse est à la fois : un trafic à travers les Alpes, parce qu’il franchit un point de passage alpin au Saint Gothard ; un trafic de transit du point de vue de la Suisse ; un trafic d’échange pour l’Italie et l’Allemagne ; un trafic intra-alpin, du point de vue de la Convention alpine. L’usage d’une définition plutôt que d’une autre n’est donc pas anodin, puisqu’il reflète le point de vue de l’acteur qui l’utilise et tend à mettre en évidence, à partir d’un même phénomène, les aspects qui intéressent son utilisateur et à « justifier » en quelque sorte les objectifs que ce dernier veut atteindre. Nous verrons au cours de ce chapitre comment le parcours de construction d’une vision alpine partagée de la question des trafics relève aussi pour une grande partie des questions relatives à la définition des différents types de trafic.

Il convient en outre de prendre en compte les caractéristiques induites par la méthodologie d’observation utilisée. Ainsi, certaines modalités d’observation peuvent ne pas faire apparaître l’origine ou la destination réelle d’un lot de marchandises. Par exemple, une enquête aux frontières menée auprès des conducteurs ne permettra la plupart du temps de repérer que le lieu où le chauffeur interrogé a lui-même pris en charge la remorque qu’il tracte et le lieu où il doit la délivrer, effaçant les O/D « réelles » dans le cas de trajets fractionnés par étapes ou d’opérations intermédiaires de groupage-dégroupage par exemple. Derrière ces aspects techniques, liés aux méthodes d’observation, on peut repérer également des différences de point de vue entre opérateurs, en particulier entre modes de transport différents. Le maritime et le ferroviaire ne permettent généralement pas de repérer les pré- et post-acheminements routiers qui déterminent les véritables O/D du lot considéré. Ils considèrent aussi le poids total pris en charge (la marchandise effective + le poids de la remorque routière, voire du tracteur éventuel, dans le cas d’un trafic Ro-Ro), alors que les statistiques routières ne prendront en compte que la charge effectivement transportée, quand elles ne renseignent pas exclusivement, comme souvent pour les statistiques des exploitants d’infrastructure, sur le nombre de véhicules traversant tel ouvrage ou tel barrière de péage…

Notes
84.

Ainsi un trafic Milan-Barcelone sera-t-il considéré comme du transit par la France, et de l’échange par l’Italie, mais un trafic Milan-Paris sera lui de l’échange pour les deux pays alors qu’un trajet Milan-Francfort de même portée constitue un transit pour la Suisse.