7.3.1.1.Le cadre géographique de référence

Alpinfo dessine sur l’arc alpin 3 segments qui se différencient par les points de franchissement pris en compte, comme nous l’avons déjà mentionné dans la partie précédente de cette thèse en présentant les études de trafic réalisées par LTF. La carte représentée ci-dessous illustre les trois segments qui, selon les définitions formulées par Alpinfo, peuvent être pris en compte pour décrire l’arc alpin :

  • le segment A est le segment le plus court. Il se focalise sur la zone traditionnellement considérée comme le « cœur » des Alpes et rassemble les principaux passages routiers et ferroviaires de la chaîne alpine (Saint-Gothard, Brenner, Mont-Blanc, Fréjus/Mont-Cenis) ;
  • le segment C prend en compte la totalité de la région alpine, depuis le passage de Vintimille jusqu’au passage du Wechsel, le plus oriental des passages autrichiens. Il comprend donc des passages internationaux ainsi que des passages internes à l’Autriche ;
  • le segment B est un hybride entre les deux segments précédents. Il adjoint au segment A les passages de Vintimille et du Tarvisio.
Fig. 45 – Rappel de l’arc alpin selon Alpinfo

Source : Alpinfo

L’adoption d’une définition spatiale différente se répercute forcement sur le type de trafics pris en compte et sur les dimensions du phénomène que font apparaître les données.

Selon une définition plus large (segment C), il faudrait considérer comme flux alpins tous ceux qui traversent une partie quelconque de la région alpine. Ce type de comptage s’avère plus utile lorsque l’on envisage de mesurer les impacts du trafic sur la région alpine, puisque tous les flux contribuent à la pollution du massif alpin. Pourtant, il faut considérer que l’adoption d’une telle définition implique l’inclusion d’une partie importante de l’Autriche et, par conséquent, de ses trafics locaux et intérieurs, ainsi que toute la partie sud-est de la France délimitée par le couloir Saône Rhône, de Mulhouse à la Méditerranée. De ce fait, ce choix gonfle les flux de transport, en incluant par exemple les camions espagnols qui remontent le couloir rhodanien, sans jamais traverser l’arc alpin. La prise en compte de la région alpine entière dans la mesure des flux apparaît un choix trop large pour approcher la question du transit alpin, qui dilue les données spécifiques à ce sujet et rend problématique toute comparaison avec les études plus strictement alpines.

A l’inverse, selon une définition plus étroite, les trafics alpins seraient uniquement ceux qui franchissent les grands tunnels et passages routiers ou ferroviaires des Alpes. Dans ce dernier cas, se pose un problème de choix entre le segment A et le segment B. Le premier, en effet, présente la limite de ne pas prendre en compte le passage de Vintimille. La question de l’inclusion ou non de ce point de passage dans la définition de la question du transit alpin fait se croiser de visions divergentes, notamment dans le cas de l’évaluation de projets d’infrastructure. Nous avons vu dans la partie précédente de cette thèse (chapitre 4.4), que lors des études de trafic pour le projet Lyon-Turin, le choix de la CIG et LTF de retenir l’arc alpin B (Vintimille-Tauern) comme espace de référence pour la demande de transport éligible du projet avait fait l’objet d’une contestation de la part de la mission d’audit saisie par le gouvernement français en 2003. Cette dernière avait contesté l’intégration des trafics transitant à Vintimille et au Montgenèvre, sur la base du fait que ces trafics ne peuvent pas être considérés comme concurrents de ceux de l’ensemble Maurienne-Mont Blanc. La mission d’audit proposait plutôt la prise en compte de l’ensemble des passages relevant du segment alpin A, en jugeant les résultats des prévisions réalisées par LTF trompeurs. En contrepartie, les promoteurs du projet Lyon-Turin ont depuis longtemps affirmé que ce projet était aussi une réponse pour les flux Espagne-Italie en l’inscrivant très tôt dans une logique de « corridor V » (Lisbonne-Budapest) ou « d’arc méditerranéen » (Barcelone-Lyon-Milan). Outre les questions de concurrence, pour certains acteurs, Vintimille n’est pas un passage de montagne et ne devrait pas figurer parmi les franchissements de l’arc alpin. Il faut néanmoins considérer que son exclusion cacherait une partie importante de trajets, qui ont eu ces dernières années une évolution intéressante en ce qu’elle permet de connaître des logiques qui président aux choix de transport. La seule prise en compte du segment A cache, par exemple, un phénomène important de l’évolution des trafics transalpins : comme le constate L. Clément, en effet « le fait marquant des évolutions est que lors de la dernière décennie la croissance des trafics routiers a été très forte aux extrémités de l’arc Fréjus-Brenner (i.e. Vintimille et Tarvisio) » (Clément, 2004). Par conséquent, l’exclusion de Vintimille fausserait la représentation des apports de chaque pays à la composition globale du trafic transalpin, en réduisant injustement la place de la France par l’élimination de son point de passage le plus dynamique. On peut constater à ce propos que la France milite pour la prise en compte de ce passage dans plusieurs contextes : auprès de la Commission européenne, où la Mission des Alpes et la CIG Lyon-Turin soutiennent l’inclusion de Vintimille parmi les passages alpins susceptibles d’application des mesures spéciales prévues par la nouvelle directive Eurovignette 2006/38, et ensuite dans le cadre de l’évaluation du projet Lyon-Turin, où LTF prend en compte pour ses études de trafic un segment alpin allant de Vintimille au Brenner ou au Tauern, selon le type d’analyse.

Par ailleurs, le choix du segment B pose également problème en ce qui concerne les risques d’erreurs des résultats des analyses, parce qu’il amène à englober des effets qui ne concernent pas la question étudiée ou à en cacher des autres qui seraient, au contraire, pertinents. Il faut, en effet, remarquer l’existence d’une différence dans la caractérisation de l’arc alpin entre les autorités suisses et autrichiennes. Le passage du Tarvisio n’est pas considéré comme un passage alpin par l’Autriche, tandis que son trafic est recensé dans la base suisse Alpinfo. Ainsi, ce passage méridional doit être considéré avec prudence dans les comptes agrégés, car les trafics à destination ou origine italienne l’empruntent à la suite Tauern ou d’autres passages autrichiens, comptabilisés à leur tour dans la base de données. Ainsi, il serait erroné de sommer son trafic avec celui des autres passages pour obtenir le trafic global sur l’arc alpin, parce qu’on aboutirait à un double compte partiel.

La partition de l’arc alpin en différents segments proposée par Alpinfo est désormais largement répandue. Il faut remarquer néanmoins qu’elle laisse ouverte une question importante, celle d’une définition univoque de l’arc alpin, avec toutes les conséquences en termes de problèmes de comparabilité entre les études lorsque celles-ci font référence à des segments différents (souvent sans le préciser), de risques d’erreurs et de falsification des résultats. Avec Alpinfo, le thème des informations de base reste donc irrésolu sur le plan géographique, ce qui contribue selon F. Campia à « alimenter la confusion sur les données, qui décrivent le même phénomène de façon différente selon les études, parfois avec des informations de base en contradiction entre elles »90.

Notes
90.

Discours de F. Campia, assesseur aux transports de la Province de Turin, lors de la manifestation «Alpes 2020 : les nouvelles traversées », qui a eu lieu à Chambéry le 14 octobre 2005.