7.3.3.1.Les limites techniques

La base de données Alpinfo joue un rôle initial et primordial dans la reconstruction des grandes tendances de l’évolution de la demande de transport de marchandises à traverse les Alpes sur la base de séries annuelles. Néanmoins, ces données s’avèrent trop agrégées pour permettre une analyse des facteurs déterminants de cette demande. Elles ne fournissent pas d’informations sur la nature des trafics (par exemple, sur le type de marchandises transportées), sur les itinéraires empruntés et sur la longueur des trajets parcourus par les camions traversant les points de passage alpins (origines et destinations des flux, parcours effectués entre ces origines et destinations…), autant d’éléments importants pour connaître les dynamiques et les déterminants de ces évolutions, pour estimer les impacts globaux d’un tel phénomène et pour la recherche de nouvelles solutions. Il est évident, en effet, que la possibilité de contrôler et modifier les flux (en agissant sur les itinéraires ou sur les modes de transport utilisés) est variable en fonction de la nature des transports et de la distance parcourue. Une absence de données à ce sujet permet difficilement de faire des prévisions fiables des évolutions des trafics. Mais, au-delà de cette impossibilité à définir l’avenir, l’insuffisance des données disponibles ne permet pas non plus de dessiner et d’évaluer des solutions possibles et de comprendre, ainsi, quels sont les instruments les plus efficaces pour gérer cette ressource rare que sont les traversées alpines.

A travers les analyses des données Alpinfo apparaissent, donc, des besoins spécifiques en matière de connaissance des trafics transalpins qui renvoient aux constats formulés en 1993 par le groupe de travail de la CEMT sur les tendances du transport international, que nous avons mentionné plus haut dans ce chapitre (7.2.1). A cette époque, les experts consultés par la CEMT avaient conclu à l’existence d’une insuffisance générale à l’échelle internationale des statistiques disponibles, imputable au fait que les réflexions sur le trafic sont trop longtemps restées sectorielles et nationales (Reynaud et Ollivier-Trigalo, 1995). Face à ces limites d’information et de connaissance des modes de fonctionnement des transports se traduisant, entre autres, par une méconnaissance des principaux déterminants des flux, le rapport présenté aux Ministres de la CEMT en 1993 recommandait d’entreprendre deux types d’actions pour améliorer la collecte des données : des enquêtes ponctuelles sur les principaux itinéraires, dans le but de connaitre les origines/destinations des parcours et les motifs de déplacement, et des enquêtes par sondage auprès des chargeurs, pour mieux connaitre les facteurs explicatifs de la demande de déplacements et d’envois.

Or, il faut observer qu’à la même époque où la CEMT affirmait l’exigence de construire un observatoire international des flux à l’échelle du continent, les pays alpins commençaient à mettre en place des relations de coopération autour de l’observation des flux de passage aux points de franchissement alpins qui dépassaient le cadre du simple échange des données ayant caractérisé le dispositif Alpinfo. En 1993, la problématique alpine n’était pas encore très bien formulée, du moins pas dans les termes d’une unicité de représentation des trafics transalpins. Néanmoins, dès cette année là, sur la base de l’implication individuelle d’un chargé de mission, le ministère des Transports français réfléchissait à l’éventualité d’élargir à l’échelle alpine un dispositif d’observation des flux de transport de marchandises transitant par la France (l’enquête Transit), mis en place pour la première fois entre 1992 et 1993 et visant, pour l’essentiel, à fournir des éléments d’approfondissement de la connaissance des déterminants de la mobilité, du choix des modes et des itinéraires. Les analyses de trafic réalisées au cours de la deuxième partie des années 1990 et les résultats produits sur la base de ce dispositif vont donner un apport décisif – comme nous le verrons mieux plus loin dans ce chapitre – à l’affirmation de la problématique alpine au cœur des enquêtes et au développement d’un dispositif d’observation alpin, en mesure de répondre aux limites d’Alpinfo. On voit sur cet exemple comment le renforcement d’une problématique alpine s’appuie dans chaque pays, sur des problématiques qui lui sont propres. Le cas de la France est à cet égard typique. En effet, la reconnaissance dans la montée des enjeux de transit dans l’hexagone est principalement consécutive à l’entrée de l’Espagne dans l’Union Européenne et à la croissance des trafics transpyrénéens qui en a résulté. Elle amène ce pays à se doter d’un dispositif d’observation spécifique pour cette question. C’est ce dispositif initial qui, dans un second temps, va servir de base à la mise en place d’un dispositif coordonné dans les Alpes.