7.4.2.L’origine des enquêtes CAFT

Les enquêtes CAFT naissent de l’enquête Transit du ministère de l’Equipement français, réalisée pour la première fois durant l’année 1992-93. Ce premier dispositif visait à relever les flux à travers les points de frontière français avec l’Espagne, l’Italie et la Suisse situés le long des franchissements alpins et pyrénéens. Il avait été conçu sur la base d’une préoccupation croissante par rapport aux flux en transit en France. A cette époque, en effet, la forte augmentation des trafics en provenance ou à destination de la péninsule ibérique avait induit une sensibilité accrue en France par rapport au problème du transit routier sur le territoire national. Ces inquiétudes et les intérêts économiques liés à la gestion de ces flux se heurtaient cependant à une lacune majeure dans la connaissance du transport routier. L’enquête de référence française, dite TRM (Transport routier de marchandises), réalisée en France depuis 1952, ne permet pas, en effet, de connaître les flux internationaux des véhicules immatriculés en dehors de France. L’objectif des enquêtes TRM est de mesurer le volume du transport routier de marchandises et le kilométrage des poids lourds sur le territoire national ou à l’étranger, réalisé pour compte d’autrui et pour compte propre, et de suivre les prix du transport pour compte d’autrui. Néanmoins, en ne prenant en compte que les poids lourds immatriculés en France métropolitaine, les données issues de ces enquêtes ne permettent pas une connaissance exhaustive des flux routiers circulants sur le territoire national, notamment de la partie en transit, qui connaît depuis le début des années 1990 une croissance particulièrement élevée par rapport aux trafics d’échange français. En outre, comme le met en lumière Etchélécou (1997), il existe un problème de fiabilité des données contenues dans les Comptes des Transports de la Nation. En effet, en raison de la forte fragmentation des sources de provenance des données : « l’obtention de l’information en matière de transports reste encore en France une course d’obstacles qu’il importerait de simplifier ». Effectivement, le rassemblement de l’information demandait à ce que l’on s’adresse à chaque direction régionale, voire départementale, de l’Équipement pour obtenir les flux routiers du réseau public national ; pour les passages sous concession, aux sociétés concernées. Ensuite, pour le transport ferroviaire, les données sont difficiles à obtenir et restent imprécises pour la distinction des échanges et du transit.

Une telle situation limitait évidemment les possibilités d’utilisation des résultats des enquêtes afin d’évaluer les implications des flux sur les infrastructures, la circulation, la sécurité, l’environnement et l’encombrement. C’est donc pour répondre à ce besoin précis que le Service Économie Statistique et Perspective (SESP) du ministère français a conçu un nouvel outil d’observation. A la différence des enquêtes TRM, réalisées – selon la directive européenne – auprès des transporteurs, l’enquête Transit est réalisée auprès des conducteurs des poids lourds franchissant les points de frontière entre la France et l’Espagne, le long des Pyrénées, et entre la France et la Suisse ou l’Italie, le long des Alpes et du Jura. Une première comparaison exploratoire entre les deux bases de données a montré que cette différence a produit des écarts dans les résultats de l’ordre de 20% (dans le sens d’une sous-estimation des données issues des enquêtes TRM par rapport à celles de l’enquête Transit)105.

L’enquête Transit s’inspire d’une première expérimentation réalisée par la Direction Régionale de l’Equipement à l’échelle de la région Languedoc-Roussillon, qui à l’époque était pilote dans le domaine de l’observation des transports. Le dynamisme particulier de la DRE Languedoc-Roussillon n’était pas sans lien avec une préoccupation forte par rapport au dynamisme économique et aux flux ibériques. Cette première observation du transit à l’échelle régionale a servi d’incitation à la réalisation d’une enquête nationale et de modèle à la définition de la méthode. L’enquête CAFT est donc née à partir d’expériences d’observation de trafics qui répondaient à une problématique spécifique à la France, mais centrée ni sur les Pyrénées, ni sur les Alpes. Néanmoins, l’une des limites techniques inhérente à la réalisation de l’enquête Transit a représenté un avantage pour l’émergence d’un nouvel dispositif spécifiquement alpin. En effet, malgré l’adjonction du point de passage de Bâle, à la frontière avec la Suisse, dans le but de récupérer une partie des flux en transit à travers la France qui ne passent pas par les passages alpins franco-italiens, la couverture des frontières assurée par l’enquête Transit est limitée et elle ne permet pas une connaissance exhaustive des flux internationaux transitant par le territoire national français. Le choix restrictif des points d’enquête s’explique par la difficulté à avoir une observation complète des flux en transit, qui aurait demandé d’enquêter un nombre trop grand de passages le long des frontières orientales et septentrionales du pays. Le choix d’observer les flux uniquement aux passages alpins et pyrénéens a été plus ou moins contraint, dans la mesure où les enquêtes aux points de franchissement étaient beaucoup plus faciles à réaliser le long des massifs montagneux, où les poids lourds sont obligés de passer à des endroits bien précis. Ce choix s’est avéré par la suite déterminant pour le passage d’une enquête nationale sur le transit à une enquête internationale, où les enjeux transalpins ont pu être développés et trouver une place centrale dans le cadre de l’observation des flux, sans pour autant avoir été au cœur des préoccupations du ministère français jusque là.

Michel Houée, responsable de l’enquête Transit, raconte ainsi la naissance de la première enquête CAFT réalisée en 1994106 :

‘« Je collaborais en même temps [parallèlement à la définition du dispositif Transit, n.d.r] avec un groupe de travail sur l’observation de la mobilité de longue distance des voyageurs, dans le cadre d’une action Cost, dont le directeur était un suisse, qui à l’époque suivait aussi pour le compte du Département des Transports du gouvernement suisse une enquête nationale du même type que l’enquête de transit française. La dernière enquête suisse, réalisée tous les cinq ans, avait eu lieu en 1989. La suivante était donc prévue pour l’année 1994. C’est dans le cadre de cette collaboration que l’idée de rapprocher les deux enquêtes française et suisse est née, notamment dans le but d’avoir une vision d’ensemble, de façon à ce que les deux approches utilisées soient compatibles. Ainsi, on a vérifié la structure des questionnaires et l’on s’est aperçu qu’elle n’était pas trop éloignée. En plus, il se trouve que l’Autriche avait décidé, pour la première fois, de faire la même chose et au même temps que la Suisse (1994). Il ne faut pas oublier à ce propos que c’était l’époque de l’entrée de l’Autriche dans l’Union européenne. C’est comme ça qu’on a conçu le projet de constituer une base commune, qui au départ n’était pas parfaitement homogène parce qu’elle n’avait pas été conçue du côté français dans cette optique-là. Ce qui a fait qu’on a extrapolé (en France) les résultats de l’année 1992-93 à l’année 1994, pour pouvoir constituer un premier fichier commun des trois pays sur l’année de référence 1994 ».’
Fig. 59 – L’origine des enquêtes CAFT
Fig. 59 – L’origine des enquêtes CAFT

Source : élaboration propre

La mise en place d’une coopération entre les trois pays alpins a été conçue dans un souci de coordination technique, dans le but notamment de pouvoir disposer de données comparables pour l’analyse du comportement des trafics de transit, préoccupation majeure en Suisse et en Autriche, qui a été à l’origine des enquêtes nationales dans les deux pays. La problématique alpine des logiques liées au franchissement n’était pas au cœur, surtout pour la partie française, des réflexions qui ont alimenté cette première enquête coordonnée à l’échelle des trois pays. On retiendra aussi la part de hasard et d’initiative individuelle sur laquelle repose le démarrage de cette initiative coordonnée.

Notes
105.

M. Houée, présentation de l’enquête TRANSIT 2004. Journée d’échange sur « Les flux transpyrénéens, transalpins et en transit terrestre ». Réseau des économistes transport, Paris, 8 février 2007

106.

Entretien avec Michel Houée, chargé de mission à la Direction des affaires économiques et internationales (DAEI) - Service Economie, Statistiques et Prospective (SESP). Entretien réalisé le 09 juin 2006.