Contenu de la nouvelle directive

La nouvelle directive Eurovignette a été approuvée au printemps 2006 à l’issue de nombreuses négociations, en particulier entre les pays centraux d'Europe, favorables à une forte taxation dissuasive du trafic de transit, et les pays périphériques, favorables à des prélèvements plus faibles.

Les points essentiels de la nouvelle directive sont les suivants :

a. La nouvelle directive Eurovignette (2006/38) n'oblige pas les États membre à introduire une taxation pour PL, exactement comme la directive précédente. Elle définit le cadre à l’intérieur duquel les États qui le souhaiteraient peuvent appliquer des droits d’usage ou des péages.

  • Droits de d’usage : somme déterminée dont le paiement donne droit à l’utilisation par un véhicule, pendant une durée donnée, d'une infrastructure de transport
  • Péage : somme déterminée payable pour l’exécution, par un véhicule, d’un parcours donné sur une infrastructure de transport, cette somme étant basée sur la distance parcourue et le type de véhicule.

b. Toutefois la nouvelle directive introduit d’importantes modifications de son champ d’application :

  • La directive de 1999 permettait uniquement l'introduction de péages ou de droits d’usage sur les infrastructures autoroutières (sauf quelques exceptions, comme les tunnels ou dans le cas de pays dépourvus de voies rapides). Désormais, il est possible d’introduire une tarification sur tous les types de routes :
    • s’il s’agit de tronçons parties intégrantes du réseau RTE-T (autoroutes et routes nationales) ou d’itinéraires alternatifs à un itinéraire RTE-T: cette tarification est soumise aux règles de la directive
    • s’il s’agit d’infrastructures ne faisant pas partie du réseau trans-européen, la nouvelle directive renvoie au principe de subsidiarité et laisse l’initiative aux Etats (alors que la précédente interdisait explicitement toute tarification en dehors du réseau autoroutier)

=> il s'agit là d'un changement important puisqu’il permet de mettre en place un système de tarification sur l'ensemble du réseau routier (quel qu’en soit le gestionnaire – Etat, départements ou province…), ce qui était jusqu'à présent explicitement interdit

  • La directive précédente concernait uniquement les véhicules supérieurs à 12 t. La nouvelle directive s'applique à partir d’un poids total autorisé en charge de 3.5 t.
  • N.B. Les pays souhaitant appliquer des péages sur les routes parallèles au RTE-E, pour éviter des désagréments dus au report de trafic, doivent en informer au préalable la Commission Européenne.

c. A l’intérieur de son champs d’application direct (réseau RTE-T et itinéraires alternatifs, véhicules de plus de 3,5 t.), la directive fixe les règles de calcul du montant maximum des droits d’usage ou péages applicables. Les règles de calcul sont décrites à l'Annexe III de la directive.

d. Le montant des tarifications appliquées à d’autres types de véhicules (2-roues, voitures particulières, petits utilitaires...) ou sur d’autres infrastructures routières (en dehors du réseau RTE-T) ne sont pas encadrés par la directive qui renvoie au principe de subsidiarité. Ils devront toutefois se conformer aux principes du traité de l'Union :

  1. Principe de libre circulation des biens et des personnes
  2. Principe de non-discrimination : aucune distinction tarifaire ne peut être introduite selon le pays d’origine du véhicule, du chauffeur ou de sa marchandise. Tout système aboutissant à la protection des transporteurs nationaux au détriment des étrangers est interdit. De la même manière, le principe de non-discrimination interdit toute tarification basée sur l’origine ou la destination du véhicule ou de son chargement. Cette mesure vise à empêcher en particulier l’introduction d’une tarification pénalisant spécifiquement les véhicules en transit par rapport aux véhicules qui effectuent du transport local.
  3. Principe de proportionnalité : Le principe de proportionnalité est, avec le principe de subsidiarité, le deuxième grand principe qui régit l'exercice des compétences de l’Union Européenne. En vertu de ce dernier, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excédent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la Constitution. Concernant la tarification routière, il vise en particulier à ne pas créer d’entrave tarifaire au principe de libre circulation des marchandises.

Cependant, la directive énonce plusieurs objectifs généraux poursuivis à travers la tarification routière : objectif de couverture des coûts, objectif d’équité appuyé sur l’application du principe pollueur-payeur, objectif de développement durable traduit en report modal par exemple. Selon la hiérarchie des objectifs que l’on considérera, l’application du principe de proportionnalité peut conduire à des lecture différentes du niveau de prélèvement maximum autorisé. On verra que la directive actuelle ouvre la voie à une prise en compte progressive de ces différents objectifs.

e. La directive limite à 13% le niveau de réduction qui peut être accordé aux abonnés ou usagers fréquents. Ce niveau est à rapprocher des 25% de réduction couramment constatés au début de la décennie.

f. La nouvelle directive autorise les États à décider librement de l’affectation des produits des droits d’usage/péages. Elle recommande, sans toutefois ne rien imposer, qu'ils soient destinés à l'optimisation du système de transport dans son ensemble (pas seulement au système de transport routier).

Sur ce point comme sur d’autres, la situation est très variable d’un pays à l’autre. En France, il faut compter avec le principe d’unicité et d’annualité des budgets publics qui rend difficile toute affectation prédéfinie. En outre, la concession des autoroutes à péage subordonne l’affectation des recettes dégagées sur ce réseau aux politiques de développement des sociétés concessionnaires. En Allemagne (LKW Maut, modulée selon le nombre d’essieux et la classe Euro du véhicule), en Autriche (péage kilométrique modulée dans les zones montagneuses pour s’approcher du niveau de la RPLP helvétique et, seulement sur l'autoroute du Brenner, avec des tarifs nuit et jour distincts) et en Suisse (RPLP : taxe kilométrique modulée selon la classe Euro du véhicule), les prélèvements sont en grande partie destinés à financer les infrastructures de transport. En revanche, les objectifs affichés diffèrent largement : transfert modal pour la Suisse, transfert modal et décongestion en Allemagne et financement d’un programme autoroutier en Autriche.

g. Concessions : à la demande de quelques États dont la France, la directive prévoit un régime spécifique pour les péages en concession. Dans le cas général, les péages introduits après le 10 juin 2008 doivent être calculés sur la base de l'annexe III de la directive et les États doivent communiquer à la Commission les paramètres utilisés dans le calcul. En ce qui concerne les péages en régime de concession, la méthodologie de l’annexe III n’est pas obligatoire, mais le niveau maximum des péages doit quoi qu’il en soit être égal au niveau qu'on obtiendrait en cette annexe.

h. Le produit des droits d’usage/péages ne peut pas dépasser le coût complet d'infrastructure (coûts de construction, d’exploitation, d'entretien et de développement) auquel on peut ajouter la rémunération du capital investi aux conditions de marché. L'annexe III de la directive établit les règles de calcul. Le montant maximum des droits d’usage est fixé par la directive. Pour tenir compte des modulations rendues possible dans le cas d’un péage (voir plus loin) la directive définit les règles de calcul d’un « péage moyen pondéré ».

Le point important à souligner ici est que les États membres ne sont en particulier pas autorisés à inclure les coûts externes dans la tarification de l’usage des infrastructures.

i. Sur la base de ces règles sont ensuite prévues diverses possibilités de variation, qui peuvent permettre dans certains cas, de contourner au moins en partie l’interdiction d’internalisation des coûts externes :

  • Modulation des péages : la directive permet aux États membres de moduler le montant des tarifs routiers en fonction :
    • de la période de la journée ou du jour de la semaine, en des cas de fort engorgement ou de risque environnemental (pic de pollution)
    • De la classe Euro des véhicules (Euro 0 - Euro VI) : cette modulation sera obligatoire à partir de 2010 (sauf pour les contrats de concession en cours).

Cette modulation est tenue de respecter la règle du "Produit constant", pour ne pas conduire à une augmentation des recettes globalement perçues. En particulier, l'augmentation d'un tarif de péage pour certaines catégories d'usagers (ou pour certaines tranches horaires) devra être compensée par un abaissement proportionnel pour d’autres catégories, de sorte que le total des sommes perçues reste inchangé.

  • Surpéage (aux franchissements) : la nouvelle directive autorise les États membre à appliquer une majoration (mark-up ou surpéage) de 15 à 25% dans les zones de montagne, à la condition expresse que le produit serve à financer des projets prioritaires du RTE-T situés dans le même "corridor" et que l'infrastructure objet de ce surpéage présente d’importants problèmes d'engorgement et de dommages environnementaux. La directive ne précise pas explicitement ce qu’il convient d’entendre par "problème d’engorgement", "dommages environnementaux" et "corridor".
    Cette disposition entièrement nouvelle autorise un surpéage de :
    • 15% sur les tronçons nationaux situés dans le corridor d’un projet prioritaire RTE-T
    • 25% sur les tronçons transfrontaliers situés dans le corridor d’un projet prioritaire RTE-T
  • Les droits régulateurs : l'art. 9 de la nouvelle directive autorise les États à mettre en œuvre des "droits régulateurs" qui viennent alors s’ajouter aux péages moyens pondérés afin de combattre des problèmes d'engorgement (dans une tranche horaire ou lieu précis) et/ou de pollution. Ces droits relèvent de la subsidiarité des États, mais ils doivent se conformer aux principes de non-discrimination et de proportionnalité.
    n.b. : Les droits régulateurs sont indépendants des surpéages : les deux peuvent donc en principe être cumulés

Ces droits viennent s’ajouter au péage moyen pondéré et ne sont donc pas soumis à la règle du "produit constant"

  • La directive ne précise pas ce qu’il convient d’entendre par engorgement ou par problèmes environnementaux, laissant une grande marge d'interprétation aux États et à la Commission.
  • Les droits régulateurs peuvent être appliqués à tout type d’infrastructure en s’ajoutant éventuellement à un péage ou surpéage.
  • La directive ne fournit aucune indication sur l’affectation du produit de cette disposition.
  • La question se pose de savoir si les droits régulateurs peuvent eux-mêmes être l’objet d’une modulation temporelle, saisonnière ou journalière.

n.b. : Il reste encore à étudier le caractère juridique des droits régulateurs : il n’est en particulier pas encore arrêté s'il s'agit d'une taxe ou d'un péage. De même, il convient d’étudier les modalités d'application et les effets possibles de cette disposition qui n’a pas de précédents).

j. L’applicabilité de la directive Eurovignette dans le cadre des droits nationaux

L’application de plusieurs des modalités prévues dans la directive va nécessiter une adaptation de la législation des pays qui voudraient les mettre en œuvre.

Le principe d’un plafonnement des prélèvements qui peuvent être effectués au titre de l’usage des infrastructures de transports ne devrait pas d’importants problèmes de compatibilité. Les difficultés émanant de l’adaptation des modes de calculs des tarifs dans le cas de concession ont été largement anticipés par des dispositions spécifiques qui sauvegarde le principe de plafonnement en assouplissant les contraintes de méthode de l’annexe III.

La possibilité ouverte de prélever un péage ou une redevance d’usage sur tout ou partie du réseau routier, hors autoroutes concédées, demandera une adaptation plus conséquente de la législation. En France, la loi interdit cette perception, sauf pour les ouvrages exceptionnels, mais l’amendement « Burr » qui autorise une expérimentation de ces prélèvements en Alsace comme les décisions qui découlent du « Grenelle de l’environnement » sont le signe d’une adaptation rapide de la législation. Une proposition de loi actuellement soumise par le gouvernement au Parlement instaure une taxation de la circulation des PL sur les infrastructures non concédées du réseau national. En Italie, le réseau non concédé reste très généralement libre de droit d’usage ou de péage. Il reste à préciser les obstacles législatifs ou réglementaires qui pourraient gêner la mise en œuvre de cette possibilité nouvelle.

k. Perspective d’intégration des coûts externes (pollution et insécurité)

La directive 2006/38 invitait la Commission à présenter au plus tard le 10 juin 2008 « un modèle universel, transparent et compréhensible pour l'évaluation de tous les coûts externes » qui servira de base à une nouvelle proposition législative. En effet, la directive précise que « ce modèle est accompagné d'une analyse d'impact de l'internalisation des coûts externes pour tous les modes de transport et d'une stratégie pour la mise en œuvre graduelle du modèle pour tous les modes de transport »126.

En 2011, un bilan de l'application de la directive devra être présenté : « Le 10 juin 2011 au plus tard, la Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport sur la mise en œuvre et sur les effets de la présente directive, en tenant compte des progrès techniques et de l'évolution de la densité de la circulation, y compris l'utilisation de véhicules de plus de 3,5 tonnes et de moins de 12 tonnes, et en évaluant son incidence sur le marché intérieur, y compris sur les régions insulaires, enclavées et périphériques de la Communauté et sur le niveau des investissements dans ce secteur, ainsi que sa contribution à la réalisation des objectifs fixés dans le cadre d'une politique des transports durable ».

La directive 2006, qui constitue clairement un compromis entre des intérêts et des volontés divergentes, se termine donc par une clause de réouverture des débats dès 2008, dans l’optique d’une nouvelle mouture.

De fait, dès décembre 2007, un consortium d’instituts de recherche menés par le cabinet CE Delft produit sur commande de la Commission un « Handbook on estimation of external cost in the transport sector » qui recense les méthodes disponible pour estimer les coûts sociaux du transport et propose sur cette base une grille de valeurs à retenir dans différentes configurations. Parallèlement, la Commission organise une consultation sur internet basée sur un texte de position qui évoque l’internalisation de cinq catégories d’effets externes :

  • les pertes de temps dues à la congestion,
  • l’insécurité routière,
  • le bruit,
  • la pollution atmosphérique et
  • les émissions de gaz à effet de serre.

Elle se conclut le 31 janvier 2008 par un rassemblement des acteurs à Bruxelles pour une réunion de réflexion. Divers acteurs alpins, sensibilisés aux enjeux de la question pour la maîtrise des flux en transit à travers leur territoire, ont participé à cette consultation en faisant valoir les intérêts des territoires alpins.

En juillet 2008, la Commission précise devant le Parlement Européen la stratégie qu’elle propose pour internaliser les coûts sociaux. La Commission propose alors de ne permettre l’internalisation à travers la tarification de l’usage des infrastructures (les péages par exemple) que de trois catégories de coûts sociaux :

  • les pertes de temps dues à la congestion,
  • le bruit et
  • la pollution atmosphérique

La Commission justifie ce choix en expliquant que les coûts de l’insécurité routière sont déjà pour l’essentiel internalisés à travers les assurances. Elle laisse par ailleurs entendre, en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, qu’elle s’oriente plutôt vers un élargissement progressif aux activités de transport du marché des « permis d’émission négociables » déjà en place pour les industries fortement consommatrice d’énergie.

Il convient de souligner que ces propositions ne concernent pas uniquement le mode routier. L’ensemble des modes de transport à l’intérieur de l’Union rentre a priori dans le champ de ces propositions, qui devraient donc conduire à faire payer au rail comme à la route le bruit, en particulier, qu’ils génèrent dans leur environnement. Par ailleurs, la Commission indique que les systèmes de tarification mis en œuvre devront être modulés selon les performances des véhicules visés pour les nuisances, selon les tranches horaires pour la congestion. Elle oriente également clairement l’usage des recettes dégagées sur le financement de mesures destinées à réduire les différentes nuisances visées. Enfin, elle propose que les systèmes de perception soient harmonisés au niveau de l’Union et s’appuient sur des solutions technologiques efficaces.

Les premières discussions autour de ces propositions se sont engagées au cours de l’été dans un climat de hausse du prix des produits pétroliers et de risques de récession économique qui n’est a priori pas favorable à la prise en compte des coûts sociaux. Les 1er et 2 septembre 2008, les Ministres en charge des transports des pays membres de l’Union Européenne (plus quelques pays voisins, dont la Confédération Helvétique) ont été conviés par leur homologue français à une « rencontre informelle » à La Rochelle. La déclaration finale de cette réunion montre à nouveau la culture européenne du compromis, puisque les Ministres y font état de leur accord pour que la prochaine Directive permette l’internalisation des coûts sociaux, mais de façon volontaire pour chacun des États membres de l’Union.

En conclusion de cette présentation de l’état d’avancement de la procédure de révision de la Directive Eurovignette, on peut souligner l’avancée importante que représente le consensus trouvé sur l’autorisation qui sera donnée par la directive révisée aux États membres d’internaliser certains coûts sociaux du transport à travers la tarification de l’usage des infrastructures. Cependant, ce consensus ne portera à conséquences qu’à la condition qu’une directive révisée soit effectivement promulguée et remplace l’actuelle Directive 2006/38. Or, le chemin à parcourir pour aboutir à l’adoption d’une nouvelle directive est encore très long. A titre indicatif de ces délais, on peut seulement rappeler que l’actuelle Directive 2006/38 enjoint la Commission à présenter un bilan de l’application de son application « le 10 juin 2011 au plus tard ». Les points à régler sont encore nombreux qui seront autant d’occasion de faire apparaître les divergences d’intérêt entre pays de transit et pays périphériques, de négocier le niveau de priorité à donner aux objectifs environnementaux face aux objectifs de compétitivité économique, de discuter la place à accorder aux différents modes de transport dans la politique communautaire des transports.

Notes
126.

En novembre 2008, la Commission n’a pas encore présenté un modèle d’évaluation des coûts externes.