2. L’application de la directive à l’arc alpin (franco-italien)

a. Concernant la réduction des rabais prévus pour les abonnements (plafond à -13%), il faut remarquer que les politiques tarifaires appliquées au Mont Blanc et au Fréjus vont déjà dans cette direction. Dès 2007, les rabais ont en effet été réduit à -17% (contre une moyenne de -25%). Les effets de cette mesure sont contradictoires : ils entrainent un risque de report d’itinéraire sur les infrastructures gratuites et en outre le seul bénéficiaire d’une telle réduction est le concessionnaire.

b. Concernant la modulation des péages (obligatoire à partir de 2010 sur la base des catégories Euro), il faut remarquer qu’une modulation existe déjà aux tunnels du Mont Blanc et du Fréjus. Il s’agit d’une modulation en fonction des normes Euro127 qui est cependant justifiée par les coûts d’entretien plus élevés générés par les PL plus polluants (plus de dégâts : salissure des parois, nécessité d’une meilleure aération…). Pour l’instant ce différentiel reste minime et donc de faible effet sur le renouvellement du parc véhicule. Ce problème est censé se résoudre avec l’application de la modulation prévue par la nouvelle directive.

c. L’application des droits régulateurs et des surpéages est plus problématique, notamment en raison de l’ambigüité de certaines définitions (corridor, congestion, nuisances environnementales) pour lesquelles la directive ne fournit pas une explication précise. Mais l’application de ces outils revêt aussi un caractère stratégique à au moins trois égards :

  1. D’une part, ces outils de régulations tarifaires sont rendus disponibles par la Directive 2006/38 et peuvent être utilisés, en principe rapidement, pour initier une politique de report modal de court-moyen terme, sans attendre la mise en service des nouvelles liaisons ferroviaires de franchissement des Alpes ;
  2. D’autre part, la mise en œuvre de ces dispositifs largement spécifiques aux Alpes ne peut désormais s’envisager que de manière coordonnée à l’échelle du massif ; elle constitue alors une nouvelle étape dans l’approfondissement de la coopération au sein du Groupe de Zurich ;
  3. Enfin, dans le contexte de révision de la Directive Eurovignette qui est désormais engagée, la possibilité donnée aux acteurs alpins, et en particulier aux États, de mettre en œuvre dès aujourd’hui des dispositifs dérogatoires permettant d’internaliser les coûts externes, place de fait l’espace alpin dans une situation de terrain d’expérimentation ou peuvent se négocier les dispositions précises qui pourraient être intégrées à la prochaine mouture de la Directive.

d. Nous avons pu identifier plusieurs points précis à propos desquels l’application des dispositifs de surpéages/droits régulateurs dans les Alpes posait de sérieuses difficultés. On peut les passer en revue :

  1. La question de l’intégration du passage de Vintimille à un corridor transalpin unique auquel serait appliqué un surpéage a été posée lors des simulations réalisées par le groupe de travail « Report Modal » de la CIG du Lyon-Turin et LTF. La CIG et LTF s’étaient posé la question de savoir si l'on aurait pu considérer Vintimille dans le même corridor du Lyon-Turin et appliquer ainsi à ce passage un surpéage de 25%. La Commission européenne, interpellée sur cette question, a d’abord répondu que Vintimille ne peut pas être considérée comme faisant partie du corridor du Lyon-Turin. Depuis, il est apparu que Vintimille pourrait être associé à un corridor d’autoroute de la mer en Méditerranée occidentale, lui aussi classé prioritaire au titre du RTE-T. Cette interprétation permet alors d’envisager d’un surpéage sur l'itinéraire par Vintimille comme sur ceux du Fréjus et du Mont-Blanc.
  2. Toutefois, l’imposition d’un surpéage au droit de Vintimille, donc sur un montant de péage initial très inférieur à celui perçu pour la traversée des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, ne ferait qu’accentuer le différentiel de coût entre les trois passages franco-italiens. Le passage par Vintimille, déjà nettement moins onéreux que les deux autres, continuerait à attirer la totalité du trafic de transit de la péninsule ibérique et du grand sud-ouest français vers l’Italie.
  3. Selon les simulations réalisées par la CIG et LTF, l’instauration d’un surpéage aux franchissements alpins pourrait avoir un impact limité sur le report modal, évalué au maximum à 5% dans les meilleures hypothèses, notamment avec la prise en compte de Vintimille.
  4. Le fait ne pas appliquer le surpéage à Vintimille empêche aussi de mobiliser les recettes correspondantes pour la réalisation du Lyon-Turin. Il s’agit d’un point important si l’on considère que l’impact estimé par la CIG et LTF du surpéage sur le financement du projet sera compris entre 40 et 180 millions d’€/an. Quoi qu’il en soit, il faut regarder avec circonspection la possibilité effective d’affecter au projet Lyon-Turin la totalité du produit d’une mesure tarifaire qui concernerait l’itinéraire côtier entre Marseille et Gênes. Si l’on peut justifier que les recettes tirées du trafic de transit abonde le financement du nouveau lien ferroviaire transalpin, on voit mal pourquoi le trafic local (interne à l’ensemble PACA-Ligurie) devrait contribuer à un projet qui ne le concerne qu’indirectement. Enfin, il est très vraisemblable que l’apparition, le long de l’itinéraire autoroutier passant par Vintimille, d’une source de financement affectable aux projets ferroviaires provoquerait l’émergence sur le même espace de projets qui viendraient grever ces ressources nouvelles (on peut par exemple imaginer une mise au gabarit des nombreux tunnels en vue de la mise en œuvre d’un service d’autoroute ferroviaire destiné aux matière dangereuses, au trafic de nuit…). Aujourd’hui, la Commission semble plutôt souhaiter que ces éventuelles recettes soient affectées aux projets d’autoroute de la mer au corridor desquelles elle rattacherait l’axe de Vintimille.
  5. Il faut encore considérer qu’un surpéage instauré aux tunnels alpins frontaliers implique un surcoût plus facile à amortir sur les longs parcours, mais discriminant pour les transports locaux. Il apparaît alors que la possibilité d’une surtaxe kilométrique appliquée à un itinéraire étendu constitue une mesure moins discriminatoire pour les trafics locaux par rapport à une barrière tarifaire concentrée par exemple sur les quelques kilomètres d’un tunnel de franchissement.
  6. Il s’agirait alors de considérer plutôt l’application des droits régulateurs sur ces passages (en sachant, toutefois, que surpéage et droits régulateurs sont indépendants et devraient pouvoir être appliqués simultanément).
  7. L’application des droits régulateurs au lieu des surpéages permettrait d’imposer une taxe kilométrique sur un axe entier (de Gênes jusqu’à Marseille par exemple, dans le cas de Vintimille et de l’axe Rhône-Saône à la plaine du Pô dans le cas du Fréjus et du Mont Blanc) au lieu d’une barrière au passage. Il s’agirait donc de couvrir un champ plus étendu avec une mesure localement moins pénalisante.
  8. L’application des droits régulateurs sur des itinéraires étendus pose la question de la coordination des politiques de transports interurbains et de transports urbains au droit des agglomérations. Nice, Imperia, Grenoble, Chambéry, Annecy, Genève, Aoste et Cuneo au moins sont concernées, sans oublier Lyon, Turin, Marseille et Gênes dans l’hypothèse de droits régulateurs entre l’axe Rhône-Saône et la plaine du Pô.
  9. L’application des droits régulateurs sur des itinéraires étendus pose la question de leur mise en œuvre sur les itinéraires internes aux Alpes, en particulier sur le versant français sur le sillon alpin d’une part, sur les liaisons entre les vallées de l’Isère et de la Durance de l’autre.
  10. L’application des droits régulateurs sur les itinéraires de franchissement des Alpes peut-il enfin se concevoir sans que cette modalité soit étendue à la vallée du Rhône, à la plaine du Pô… et de proche en proche à l’Europe entière ?

e. Le suivi des travaux en cours au sein du groupe de Zurich et du groupe « Report Modal » de la CIG du projet Lyon-Turin permet aussi d’analyser les points sur lesquels se concentrent les réflexions. Plusieurs objectifs et contraintes guident les réflexions.

  1. Elles doivent en particulier prendre en compte la réalisation de la galerie de sécurité du tunnel routier du Fréjus dont le percement a été décidé par les deux gouvernements. Le financement de cet ouvrage, qui vient s’intégrer dans le « coût complet » de l’infrastructure, rentre a priori dans le cadre ordinaire de la Directive 2006/38 qui permet donc une hausse du montant du péage perçu pour le franchissement du tunnel du Fréjus. Se pose alors la question du maintien du principe d’égalité des tarifs pratiqués au Mont-Blanc et au Fréjus qui a été acté dans le cadre des négociations qui ont précédé la réouverture du tunnel du Mont-Blanc suite à l’accident de 1999. A cette époque, la volonté de ne pas diriger les nuisances du trafic routier sur une vallée d’accès plutôt qu’une autre a conduit à cette solution d’équilibre, accompagnée d’un encadrement des parts de trafic supportées par chacun des deux passages (qui ne peuvent évoluer qu’entre 35 et 65% de part et d’autre). La stricte application des dispositions ordinaires de la Directive Eurovignette dans le cadre du financement de la galerie de sécurité du Fréjus viendrait rompre cet équilibre en augmentant le tarif pratiqué sur cet itinéraire sans pouvoir augmenter d’autant le péage du tunnel du Mont-Blanc. Le régime dérogatoire prévu par la Directive 2006/38 offre la possibilité d’introduire au Mont-Blanc et au Fréjus une tarification supplémentaire par rapport à celle qui découle du « coût complet » des infrastructures. Il peut s’agir d’un surpéage qui peut atteindre 25% sur un tronçon transfrontalier ou d’un « droit régulateur » fondé sur un objectif de limitation de nuisances spécifiques. Ces dispositions particulières apparaissent alors comme une solution envisageable afin de sauvegarder l’égalité des tarifs pratiqués. Elles offrent aussi une manière de consensus en affectant les recettes issues de l’augmentation des tarifs de péages consécutive au percement d’une galerie routière de sécurité au Fréjus non seulement au financement de cet ouvrage routier (pour la part perçue au tunnel du Fréjus), mais aussi au financement de l’alternative ferroviaire que constitue le projet ferroviaire Lyon-Turin (pour la part perçue au tunnel du Mont-Blanc, puisque telle est l’affectation imposée par la Directive Eurovignette au produit d’un surpéage). Mais les réflexions entamées aujourd’hui ne cherchent pas seulement à répondre aux contraintes du financement de la galerie de sécurité du Fréjus. Elles visent aussi plus directement à trouver les moyens d’utiliser les outils offerts par la Directive 2006/38 pour initier une politique efficace de report modal. Sur ce point, elles réfléchissent à la possibilité de combiner des mesures tarifaires à des mesures de natures différentes, réglementaires en particulier. Enfin, elles se situent dans le cadre d’objectifs plus généraux visant à améliorer la sécurité et à limiter des nuisances du transit alpin. L’application des dispositifs de la Directive Eurovignette ne doit donc pas être conçue comme une orientation exclusive vers la seule utilisation d’outils tarifaires.
  2. Parmi les mesures et objectifs actuellement en cours de discussion dans cet esprit, on peut d’abord citer l’éventualité d’une interdiction des PL de classes Euro inférieures aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus et le renforcement de la modulation des tarifs en faveur des véhicules les plus performants d’un point de vue environnemental. Ces mesures ne peuvent a priori qu’être bénéfiques aux vallées traversées. Quelques questions restent néanmoins en suspend. L’une d’elles concerne la capacité d’adaptation des entreprises locales de transport international. Par nature, les entreprises de transport international situées dans les départements et provinces frontalières sont très dépendantes des marchés et des itinéraires franco-italiens. Il convient donc de veiller à ce que ces mesures soient mises en œuvre de manière progressive, en articulant la poursuite efficace des objectifs environnementaux visés et la proposition de mécanismes d’adaptation incitatifs ne pénalisant pas l’économie locale. L’autre question non réglée à propos d’une interdiction des PL les plus polluants au Mont-Blanc et au Fréjus concerne l’inclusion de l’itinéraire de Vintimille dans le périmètre d’application de ces mesures. Ne risque-t-on pas tout d’abord de détourner le long de la côte les véhicules les plus polluants ? Il paraît ensuite difficile de soutenir que cette mesure puisse être moins justifiée le long de la côte méditerranéenne. Enfin, l’adoption coordonnée de mesures de régulation de la circulation des véhicules les plus polluants au Mont-Blanc, au Fréjus et à Vintimille est une opportunité d’afficher la communauté d’intérêt de ces différents passages et la volonté de la puissance publique de les traiter de façon cohérente.
  3. La régulation tarifaire du trafic nocturne est une autre problématique évoquée actuellement. On évoque sa mise en œuvre au tunnel du Mont-Blanc, ce qui poserait nécessairement la question des reports d’itinéraires vers les autres points de passage. Il convient aussi de garder à l’esprit qu’une modulation temporelle des tarifs de péages doit s’opérer à tarif moyen constant. En conséquence, une augmentation des tarifs nocturnes devrait s’accompagner d’une baisse des tarifs diurnes. Le suivi dans la durée de ce principe de constance du tarif moyen n’est pas très clair car les déplacements de trafic des périodes « chères » aux périodes « bon marché », s’il est recherché, ne s’opèrera sans doute pas de manière immédiate. Il faut, comme pour les reports d’itinéraires par exemple, un délai qui peut-être long pour que les organisations logistiques s’adaptent et profitent pleinement des opportunités d’économie qui leurs sont offertes. Les glissements temporels de la demande vont alors s’opérer très progressivement, sans qu’il soit aisé de repérer ce qu’ils doivent aux mesures d’orientation tarifaire. Mais sur la question de la régulation tarifaire du trafic nocturne, il convient surtout pour les acteurs locaux d’accompagner la cette décision – et son élargissement aux autres itinéraires – en produisant et diffusant des argumentaires s’appuyant sur les spécificités des territoires traversés pouvant justifier cette mesure. Ces efforts renvoient à la question générale de d’évaluation du coût des effets externes et en l’occurrence ici de la détermination des effets spécifiques du trafic nocturnes. Enfin, la dissuasion du trafic routier de nuit appelle obligatoirement une réflexion sur les solutions alternatives qui peuvent être mises en place et les mesures d’incitation qui peuvent favoriser leur développement. La multiplication de convois de ferroutage la nuit présente également des inconvénients, en termes de nuisances sonores en particulier, qu’il convient d’examiner de deux points de vue :
  1. Un troisième sujet de réflexion concerne de manière spécifique les transports de marchandises dangereuses. Sur ce point, les enjeux de sécurité sont évidemment primordiaux et s’accordent mieux avec une régulation réglementaire qu’avec une régulation tarifaire. Néanmoins, comme sur d’autres sujets, les questions d’équilibre de l’effet des mesures adoptées sur les différents passages se posent avec acuité. De même, la prise en compte des contraintes des entreprises locales (émettrices, réceptrices ou transportant des MD) est importante. Enfin, la possibilité de mettre en place des solutions alternatives est également primordiale.
  2. Enfin, les réflexions actuelles cherchent aussi à utiliser les dispositions de la Directives 2006/38 dans une optique générale de régulation de la totalité du transit routier (et pas seulement de tel ou tel segment particulier du trafic à l’instar des 3 mesures qui viennent d’être évoquées). Il s’agit clairement de profiter des dispositifs de surpéages et de « droits régulateurs » permis par la Directive pour initier, sur les itinéraires du transit alpin, une politique d’internalisation des coûts externes du transport routier.

Les réflexions menées actuellement portent clairement sur la possibilité de mise en œuvre d’un surpéage sur les itinéraires d’accès aux tunnels et d’un droit régulateur sur l’itinéraire d’accès au passage de Vintimille. Ces orientations marquent de façon nette la volonté d’étaler dans l’espace la tarification environnementale de la traversée des Alpes. Elle résulte explicitement de la prise de conscience du caractère spécifiquement discriminant pour le trafic frontalier d’un surpéage aux seuls tunnels.

En revanche, l’idée d’une application supplémentaire d’un surpéage aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus ne semble pas complètement abandonnée. Cette option paraît être conservée de manière à ménager une marge de manœuvre à la hausse concernant le tarif de la traversée des Alpes. Si ce surpéage supplémentaire n’est utilisé que comme variable d’ajustement et reste marginal, l’argument de la barrière spécifique aux flux à courte distance devient moins pertinent. Mais l’hypothèse de la mise en œuvre d’un surpéage aux tunnels sans autres indications laisse la possibilité d’une application pleine du taux maximal de 25% et de l’instauration de fait d’une barrière tarifaire spécifique d’autant plus sensible que le coût (complet) des tunnels aura lui aussi augmenté.

L’addition des mesures tarifaires envisagées au Mont-Blanc et au Fréjus, comparée à la seule application des droits régulateurs sur les itinéraires d’accès à Vintimille se traduira très vraisemblablement par une augmentation du différentiel tarifaire en faveur du trafic circulant le long de la côte. Cette situation tarifaire ajoutée à la faiblesse des solutions alternatives terrestres sur cet itinéraire, même en tenant compte du développement de l’offre d’autoroute de la mer et de la pertinence d’une alternative ferroviaire par Modane, pose un réel problème d’équilibre, du point de vue des trafics et des nuisances, mais sans doute aussi d’un point de vue politique. La recherche d’une alternative ferroviaire ayant pour origine la côte méditerranéenne (Perpignan ou la zone de Fos) est peut-être de nature à apporter un élément de réponse sur ce point.

Notes
127.

Les normes d'émission Euro fixent les limites maximales de rejets polluants (NOx, CO, HC, PM) pour les véhicules roulants dans l’objectif de réduire la pollution atmospherique due au transport routier (elles ne prennent pas en compte, donc, les émissions de CO2).