9.2.L’espace alpin des trafics : un espace en émergence autour d’une problématique partagée…

Malgré les retards accumulés lors de la ratification et de la mise en place du protocole transports, le domaine des transports est celui où l’engagement des États s’est davantage traduit dans des mesures concrètes, suite à la mise en place de dispositifs techniques coordonnés d’observation des trafics alpins (Alpinfo et CAFT) et à la création de dispositifs institutionnels communs pour la prise de décisions (le Groupe de Zurich). C’est à travers une analyse de ces deux dispositifs que nous avons pu lire les évolutions de représentation de l’espace alpin des trafics et observer comment la problématisation du phénomène des trafics a façonné les relations entre les pays et les politiques envisagées pour gérer les flux de transport dans la région.

Cette dernière partie de la thèse s’est ainsi développée sur deux plans, un plan technique et un plan politique, présentés dans deux chapitres différents. Dans le premier cas, l’analyse de l’évolution des dispositifs techniques alpins d’observation des flux nous a permis de détailler les étapes, les acteurs et leurs positionnements respectifs dans le processus de construction d’une représentation pan-alpine de la question des trafics, qui a servi de base à la définition des conditions d’intervention politique. Ensuite, l’analyse des politiques de transport étudiées et discutées ces dernières années dans les pays alpins nous a permis de retracer l’émergence d’une dimension alpine commune de la politique des transports et, plus particulièrement, de la gestion des trafics.

Cette double analyse nous a montré que l’émergence d’un espace politique alpin est le résultat de l’influence réciproque de ces deux plans de coopération technique et politique. C’est en effet au sein d’un processus où la dimension politique, liée à la discussion et à la représentation des phénomènes qui posent problème, et la dimension technique s’alimentent réciproquement et de manière continue, qu’a pu se développer la dynamique étatique de construction de l’espace alpin, dans laquelle chaque pays a opéré pour imposer ses préoccupations et intérêts principaux, en façonnant les modalités d’inscription des problématiques relatives aux transports dans les Alpes à l’agenda politique. La définition d’une représentation partagée de la problématique des trafics dans les Alpes, que nous avons vue émerger à travers le travail et les discussions ayant présidé à la construction des dispositifs d’observation des flux alpins, est donc un résultat important en termes de synthèse des différentes visions. Cependant, ce résultat n’a pu être obtenu qu’au prix de quelques simplifications/exclusions. En effet, l’histoire de la question des trafics et des traversées alpines fait se croiser non seulement des visions nationales différentes, mais plusieurs échelles géographiques et niveaux de gouvernement entre eux. Cette multiplicité de points de vue concernant la problématique de la gestion des flux de transport dans les Alpes repose sur la pluralité de lieux sur lesquels les trafics alpins se déploient et sur la différence d’échelles territoriales de référence à partir desquelles le problème est ressenti et posé à l’intérieur de chaque pays. Par conséquent, l’émergence d’une représentation unique alpine, expression d’une synthèse des visions des États, peut représenter un risque d’exclusion des exigences des territoires locaux du processus décisionnel. Ainsi, cette première analyse rétrospective des outils, des événements et des acteurs ayant façonné l’émergence d’un espace alpin des transports peut être utilement complétée par des réflexions plus orientées vers l’avenir du processus. Il s’agit, en effet, de s’interroger au sujet des perspectives de cette démarche de coopération multilatérale. Dans quelle mesure, est-elle capable d’inclure au sein du processus de concertation les visions et les intérêts de l’ensemble des échelles géographiques - locales et européenne, notamment - concernées par la question des trafics alpins ? Quelques éléments se concrétisent déjà sur la scène politique alpine, comme nous le verrons plus loin (9.3.2) pour formuler des hypothèses quant à la persistance et au développement futur de l’espace alpin des politiques de transports.

L’analyse des dispositifs de mesure et d’observation des trafics transalpins nous a permis de retracer le processus de construction de la problématique alpine, d’en saisir les points d’arbitrage et les éléments de la négociation. A travers la collaboration technique que les États ont mise en place, on peut observer non seulement un parcours d’homogénéisation de la question des trafics à l’échelle de l’arc alpin (9.2.1), mais aussi plus spécifiquement un processus de territorialisation à l’échelle alpine des formes d’élaboration et de négociation des réponses politiques à mettre en place (9.2.2).