9.3.1.L’espace alpin comme « laboratoire d’idées » de la politique de transports de marchandises

Lors de la 3ème Conférence ministérielle de Lyon en 2006, le Groupe de Zurich a confirmé son intérêt comme plate-forme de concertation et d’exploration sur des thématiques de transport communes à tous les pays alpins. Les décisions prises lors de cette rencontre marquent une avancée importante en termes d’innovation, tant de forme que de contenu, du processus d’élaboration politique des mesures destinées à la réglementation du transport de marchandises à travers les Alpes. La décision de réaliser une étude commune, avec un cofinancement de la Commission européenne, sur de nouveaux systèmes de régulation du trafic routier transalpin de marchandises implique l’engagement de l’ensemble des pays alpins sur des mesures de politique de transport innovantes visant à réguler de manière plus volontariste et plus efficace le trafic routier. Le principe de la Bourse du Transit Alpin (BTA), dans sa version « réservation et gestion des sillons », est simple et d’ambition limitée. Il peut trouver une bonne acceptabilité, tant chez les professionnels du transport à qui il apporte une meilleure visibilité et une fiabilité accrue des acheminements, que chez les gestionnaires de services alternatifs (autoroute ferroviaire) qui soumettent déjà de fait leurs clients aux contraintes d’une réservation. Bien que son effet propre en matière de report modal soit faible, il peut néanmoins constituer une étape dans un cheminement vers une BTA version « cap and trade », avec contingentement de droits de passage négociables. Sa mise en œuvre coordonnée au niveau de l’ensemble de la chaîne alpine concrétiserait, enfin, un véritable progrès dans la mise en place d’une politique commune sur le transit alpin, axée sur une mesure originelle.

Cette seconde version est plus ambitieuse en matière de limitation du trafic routier à travers les Alpes. Elle introduit de fait un contingentement et un mécanisme de gestion par le marché qui reste, pour l’instant, sans égaux dans les politiques de transports de marchandises des autres pays européens. L’introduction de cette mesure confirme le rôle de l’espace alpin comme « laboratoire d’idées », où de solutions politiques inédites sont étudiées et expérimentées. Son application pose, outre les défis techniques, des défis politiques de taille. En effet, la question de la préservation des accès à l’Italie est évidemment cruciale et impose vraisemblablement la mise en œuvre de solutions alternatives à la route. Elle pose, ensuite, de sérieuses questions de coordination au niveau de l’arc alpin à propos de la définition des quotas par passage et de la gouvernance du dispositif dans le temps. Dans cette optique, la mise en place d’une telle mesure de politique de transports introduit un élément de continuité de l’espace alpin. Enfin, le système de la BTA conduit aussi à s’interroger sur sa compatibilité avec des dispositifs de contingentement plus large, touchant la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre ou les droits à circuler dans l’Europe entière.

Le rôle de « laboratoire d’idée » joué par l’espace alpin en matière de politique de transport repose sur la mise en œuvre par les acteurs impliqués de plusieurs compétences. Parmi ces compétences, la capacité d’expertise technique joue un rôle primordial, non seulement à court terme, pour que des idées pertinentes apparaissent, mais aussi dans la durée, pour entretenir un dispositif d’information et de réflexion à même de faire mûrir les intuitions initiales. Mais la capacité d’expertise technique ne suffit pas à elle seule à conférer à l’espace alpin ce rôle de laboratoire. La capacité des acteurs politiques à établir des compromis est également essentielle pour permettre aux différentes réflexions de monter en généralité, pour rendre possible le passage d’un dispositif technique ou économique du statut de solution partielle par rapport à un problème ponctuel au statut de solution plus globale répondant à une problématique générale. Enfin, capacité d’expertise et capacité au compromis ne permettraient de déboucher sur aucune expérimentation si elle n’était pas sous-tendue par une capacité d’action. L’exemple des dispositions spécifiques de tarification permises par la Directive Eurovignette (surpéage et droits régulateurs) est illustratif de ce dernier point. En effet, dans le contexte de révision de la Directive en vue de permettre une internalisation des coûts externes du transport, l’espace alpin se trouve à être l’un des seuls espaces interurbain où cette internalisation est rendue possible dès aujourd’hui. La mise en œuvre de ces dispositions spécifiques permettrait alors à l’espace alpin d’expérimenter les modalités d’internalisation alors même que les négociations sur ce point sont en cours à l’échelle européenne. Mais nous avons indiqué que cette mise en œuvre n’allait pas sans poser de difficulté. Elle impliquera donc un engagement des acteurs alpins pour concrétiser les possibilités théoriques ouvertes par la Directive 2006/38. La capacité à mettre en œuvre ces dispositifs d’internalisation de façon concrète alimentera en retour l’influence des mêmes acteurs alpins sur la scène européenne de ce débat. Sur ce point précis comme sur les autres, le rôle de laboratoire d’expérimentation de l’espace alpin se déploie donc dans deux dimensions : une première qui conduit à l’adaptation de mesures innovantes au contexte alpin et une seconde qui renforce la capacité d’influence de l’espace alpin et de ses acteurs.