Développement et approfondissement de la coopération régionale : la Conférence des Régions Alpines

La démarche Conférence des Régions Alpines est née à la suite de la conférence d’Udine. Dans la déclaration finale de cette journée, les Régions avaient convenu de mener ensemble des études et des propositions en faveur du report modal. Néanmoins, il est vite apparu que de nombreuses démarches existaient déjà sur ce thème précis et sur celui plus en général des transports dans les Alpes, tant au niveau des États (Groupe de Zurich et Convention alpine) qu’au niveau local (dans le cadre de projets Interreg, ou de structures de coopération comme la CAFI, ou des Euro-régions). Ainsi, les régions de la conférence d’Udine se sont fixées l’objectif d’assurer une meilleure coordination entre tous les acteurs en présence. L’idée de monter une Conférence des régions alpines est née dans cet esprit. Il s’agit d’une organisation permanente des régions alpines, qui se pose en tant qu’interlocuteur des États, réunis au sein de la Convention alpine. Les rencontres sont organisées tous les deux ans, avant les réunions de la Convention alpine, pour pouvoir présenter à cette dernière les résultats et les propositions auxquels sont parvenues les régions. L’objectif est ainsi clairement celui de pouvoir faire entendre, avec plus de poids, la voix des Régions aux États par rapport à des mesures qui sont considérées avoir des impacts locaux forts.

Dans ce cadre, l’importance de cette instance, du point de vue de la poursuite et du développement de la coopération au sein de l’espace alpin, pourrait résider dans sa capacité à réduire le déficit démocratique qui avait caractérisé pendant toutes les années 1990 le processus d’élaboration et négociation de la Convention alpine et de ses protocoles d’application.

La première conférence devrait se tenir début 2009, en Rhône-Alpes, et sera l’occasion d’initier des échanges permanents sur les politiques nationales et régionales relatives aux grands projets et à l’intermodalité dans l’arc alpin. Les organisateurs envisagent de mettre en place une première partie de la conférence avec des activités à caractère technique, « pour faire le point sur les études et les expériences en cours et se mettre d’accord sur les modalités de travail en coopération, de façon à nourrir et affiner la déclaration qui serait signée le dernier jour par les élus » (B. Simon, Conseiller Lyon-Turin, Région Rhône-Alpes)135. Les sujets de travail abordés par la Conférence des Régions concernent trois thèmes :

  • les mesures favorisant la mise en place d’une offre crédible et de qualité alternative à la route, avec une attention particulière aux trafics interrégionaux et de proximité transfrontaliers ;
  • les mesures fiscales ou réglementaires pour inciter au report modal (y compris les mesures étudiées dans le cadre du Groupe de Zurich, comme la Bourse du Transit Alpin) ;
  • les dispositifs institutionnels et de gouvernance à mettre en place dans le cadre de la régulation des trafics et de l’élaboration des politiques de transport alpines. Dans ce cadre, notamment, les Régions envisagent mettre en place une base de données et d’expériences partagées, dans une optique de travail et de décisions communs. Elles considèrent l’éventualité de prolonger dans le cadre de la Conférence des Régions Alpines le projet Interreg Monitraf136.

Les représentants invités à la Conférence des Régions Alpines qui aura lieu en 2009 en Rhône-Alpes indiqués pour l’instant par B. Simon comprennent : la totalité des régions alpines, les organisations de coopération transfrontalières (Euro-région Alpes Méditerranée, CAFI…), les autorités nationales, communautaires et intergouvernementales (Allemagne, Autriche, France, Italie, Liechtenstein, Monaco, Slovénie, Suisse, l’UE, la présidence du Groupe de Zurich, la présidence de la Convention alpine, la présidence de la CEMT).

Ainsi, les Régions et les autres collectivités locales, qui ne bénéficient que d’une représentation très partielle au sein du système de concertation multilatéral des États, essaient, en acquérant à leur tour un caractère multilatéral, d’affirmer leur existence et d’accroître leurs poids au sein du système multi-niveaux sur lequel est en train de se structurer désormais l’espace alpin. L’exemple de la Conférence des Régions et de l’objectif de coordination qu’elle envisage est éloquent par rapport à l’évolution vers un système multi-niveaux.

Concernant les objectifs politiques, le principe du report modal joue encore une fois ce rôle d’intégrateur, qui avait permis à la fin des années 1990 d’obtenir un accord entre les exigences suisses (réduction du transit routier), les principes généraux de la construction européenne (libre circulation des biens et des personnes, non-discrimination…), tout en prenant en compte les besoins spécifiques de chaque pays alpin (l’Italie, soucieuse de préserver son commerce extérieur face aux restrictions imposées par la Suisse, la France et l’Autriche, inquiètes vis-à-vis du risque représenté par les trafics de contournement). Aujourd’hui, ce même objectif favorise le rapprochement des territoires locaux du processus d’élaboration d’une politique alpine des transports et participe ainsi à réduire les conflits restants au sujet de la gestion des trafics alpins.

En effet, le report modal ne se pose pas forcement en contradiction avec les objectifs locaux, qui visent la double ambition de protéger les territoires face aux nuisances provoquées par le trafic de transit et de défendre les trafics locaux par rapport aux mesures restrictives. En ce qui concerne la défense environnementale, une politique volontariste de report modal permet d’afficher une maîtrise publique des évolutions des trafics, non seulement de la part des États, mais aussi des acteurs politiques locaux. Les mesures de report modal leur fournissent l’occasion de montrer un engagement concret dans la protection des territoires d’une prospective d’abandon à une croissance des trafics, qui a été considérée, jusqu’à une époque très récente, hors de contrôle. En ce qui concerne la protection des trafics locaux, il faut considérer que le report modal volontariste dessine un contexte dans lequel les capacités routières n’ont pas vocation à être totalement consommées, ce qui améliore les conditions de la circulation routière pour les trafics locaux. Cela est d’autant plus vrai suite à l’affirmation du principe de co-modalité137 en place du report modal. La règle d’une utilisation de chaque mode là où il est le plus performant introduit, en effet, une logique de spécialisation des modes de transport par type de trafic. Cette spécialisation s’avère particulièrement avantageuse du point de vue de l’argumentation des territoires locaux, puisqu’elle suppose un transfert sur le fer des trafics de longue distance, pour lesquels ce mode se révèle le plus pertinent, en laissant en revanche sur la route les trafics de courte distance, pour lesquels le fer ne représente pas une alternative vraisemblable. Dans une telle logique, les limitations à la circulation routière et l’incitation au report modal visent donc principalement les trafics qui, du point de vue des territoires, constituent du transit. Elle permet, par conséquent, aux acteurs locaux d’être fondamentalement favorables aux mesures d’incitation au transfert de la route vers le fer des transports alpins de marchandises étudiées par les États du Groupe de Zurich. Dans ce cadre, la forte mobilisation actuelle des instances de coordination locales alpines s’organise dans une optique de lobbying et vise à influencer les États et l’Europe dans leurs décisions finales concernant les mesures à mettre en place dans le cadre d’une politique de report modal. Sur la base des résultats issus des initiatives d’études et des dispositifs d’observation engagés au niveau local, les acteurs du territoire dessinent ainsi un contexte décisionnel non conflictuel et participatif autour d’une problématique qui a historiquement fait s’opposer des intérêts fortement divergents. En même temps, ils formulent des requêtes précises aux États et à la Commission européenne quant aux mesures à mettre en place au plus vite et celles qui ne devraient pas concerner les trafics de courte distance et locaux, qui permettraient le plus grand accord et une obtention plus rapide de l’objectif du report modal.

Les territoires locaux sont présents depuis longtemps dans les débats sur la politique des transports dans les Alpes. Ce qui est à l’ordre du jour désormais, consiste à les inclure dans le processus de concertation et de coordination de cette politique. Il s’agit donc du passage d’une logique de dialogue à une logique d’action en commun. Nous avons montré plus haut comment le compromis qui prévaut actuellement entre les États repose sur un consensus autour du principe de développement durable largement orienté vers la protection des territoires locaux. Mais ce principe de protection n’est pas traduit en objectif et laisse donc pendante la question du niveau effectif de protection à assurer aux territoires locaux en général, et à tel ou tel territoire en particulier. En matière de report modal, cette optique conduit à se focaliser davantage sur la quantité ou la part du trafic captée par le mode ferroviaire que sur le nombre de poids lourds qui continuent ou continueront à circuler au fond des vallées. Il est vraisemblable que l’intégration d’acteurs locaux au sein des processus de coordination des politiques de transport va conduire à faire évoluer rapidement cette logique. Tout y concourt en tout cas : la revendication par les territoires locaux d’une capacité d’intervention, comme l’évolution concrète des dossiers (la BTA, par exemple). Il est donc possible que l’espace alpin dans son ensemble adopte progressivement une logique helvétique selon laquelle des objectifs de protection des territoires seraient précisés a priori et alimenteraient la mise en œuvre de mesures de politique de transport tant qu’ils ne seraient pas remplis.

Notes
135.

Extrait des notes de la réunion de travail et de coordination entre la CAFI, la Région Rhône-Alpes, la Transalpine, le LET et la DRE Rhône-Alpes, le 1 juillet 2008.

136.

Voir note de bas de page n. 97

137.

Rappel : le principe de « co-modalité » prévoit l’optimisation de l’usage de chaque mode de transport dans son domaine de pertinence. Ce principe s’affirme dans la stratégie de la Commission européenne et il remplace l’objectif de report modal dans le document de révision de mi-parcours du Livre Blanc qu’elle élabore en 2006. (Commission européenne, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Pour une Europe en mouvement – Mobilité durable pour notre continent. Examen à mi-parcours du Livre Blanc sur les transports publié en 2001 par la Commission européenne. COM 2006, 314 final du 22 juin 2006).