L’avance de l’expertise technique sur le débat politique : les exemples d’un changement dans l’usage des outils au sein des processus décisionnels

La phase d’étude de la dimension alpine, focalisée sur l’analyse du choix modal, et la nécessité de répondre à de nouvelles critiques ont eu un impact important sur l’usage des outils de l’économie des transports. Les menaces adressées au projet, qui proviennent des critiques économiques du report modal, induisent l’affirmation progressive d’une pratique d’expertise différente. En effet, afin de répondre à ce dernier groupe de critiques, il devient indispensable d’adopter une approche nouvelle d’analyse et d’évaluation, en mesure de produire une connaissance et une maîtrise des conditions de réussite d’un objectif, le report modal, qui est désormais devenu central dans le consensus qui s’est établi autour d’une politique alpine commune en matière de trafic de transit et indispensable pour la survie du projet Lyon-Turin. Cette nécessité produit donc des configurations nouvelles d’utilisation des outils de l’expertise techniques dans les pratiques décisionnelles, qui permet finalement à l’expertise technique de se révéler plus avancée que le débat politique et en mesure de modifier le contenu des discussions, en influençant la représentation des problèmes ainsi que la recherche de solutions politiques à ces problèmes. Deux exemples, en particulier, sont intéressants à cet égard et montrent comment une approche différente de ces outils peut parvenir à modifier les termes de la discussion et faciliter ainsi la recherche d’un consensus autour des décisions. Nous avons vu qu’avec la création de l’Osservatorio Virano en Italie, et du groupe de travail « Report Modal » de la CIG, on est passé d’une situation où le rôle des études techniques au sein du processus décisionnel relevait davantage de la passivité par rapport aux choix opérés à une situation où les études jouent un rôle actif dans la définition et l’analyse des solutions politiques. A partir de ce moment, l’usage de ces outils vient se situer à une étape différente du processus décisionnel : ils n’interviennent plus a posteriori, avec un recours aux résultats qu’ils produisent par les acteurs politiques dans une optique essentiellement de justification, souvent pour démontrer la nécessité du Lyon-Turin. Dans cette nouvelle phase de la discussion du projet, ils acquièrent une nouvelle fonction de planification, en intervenant a priori dans le processus d’élaboration des politiques, lors de l’étape de définition des mesures politiques à mettre en place en vue d’un objectif préétabli. Le groupe de travail « Report Modal » et l’Osservatorio Virano se chargent en effet d’étudier, en collaboration avec LTF, les facteurs déterminants du report modal afin de formuler des propositions de mesures politiques applicables sur l’arc alpin franco-italien. Dans le cadre de cette tâche, les études de trafic sont utilisées pour comparer entre elles différentes mesures visant un même objectif chiffré : le report modal devient pour la première fois un objectif quantitatif (un plafond est fixé au nombre de poids lourds autorisés à chaque passage alpin). En vue de cet objectif, les études servent à choisir et à combiner les différentes solutions, à planifier, dans une optique de recherche d’efficacité, une politique des transports qui devient « complexe », parce que faite d’un ensemble composite d’actions et non plus seulement d’une mesure unique (la construction d’une nouvelle infrastructure), dont on reconnaît désormais l’incapacité à garantir, à elle seule, la réalisation d’un objectif dans un système complexe.