2.2. Des analyses à la rencontre entre le structurel et l’individuel

Si notre propos reconnaît que les acteurs donnent du sens à leur action, il présuppose aussi que ce sens ne peut se comprendre sans être rattaché au contexte interactionnel et sociétal dans laquelle l’expérience est éprouvée. Comme le soutient F. Dubet, l’expérience est nécessairement sociale : « l’expérience individuelle pure est une aporie »111.

D’abord, la compréhension du sens des actions résulte des interactions sociales dans lesquelles s’inscrivent les acteurs. A ce titre, cette approche s’affilie à l’interactionnisme symbolique. Cette pensée sociologique s’inspire de la pensée de M. Weber et des travaux de G. Simmel selon lequel « la société, c’est l’ensemble des actions réciproques des individus »112. En effet, H. Blumer indique que l’interactionnisme symbolique « repose en dernière analyse sur trois prémisses simples. La première prémisse est que l’être humain agit envers les choses sur la base du sens que les choses ont pour lui.(…) La deuxième prémisse est que le sens de ces choses est dérivé ou provient des interactions sociales que l’on a avec son entourage. La troisième prémisse est que ce sens est manipulé, et modifié, par un processus interactif utilisé par la personne traitant des choses qu’il rencontre »113.

De plus, les sens octroyés aux situations rencontrées se comprennent au regard du contexte historique donné et ils permettent en retour d’éclairer certaines spécificités de la réalité sociale actuelle. Ainsi, D. Schnapper écrit que les expériences vécues « prennent leur véritable sens à partir des processus globaux et structurels dans lesquels elles s’inscrivent »114. Le vécu de l’expérience dépend largement des normes sociales en vigueur dans la société. Par exemple, l’expérience du chômage115 est déterminée par la valeur reconnue au travail dans une société comme le résume C. Rostaing : « La privation de travail est vécue par les chômeurs comme une épreuve par rapport à la norme de travail : elle se traduit par la privation de la participation aux rythmes collectifs, par la perte de points de repères spatiaux et par une remise en cause des identités sociale et personnelle. De même, l’incarcération est une épreuve par rapport à la norme sociale de conformité » 116. Ainsi, les contextes institutionnel et sociétal ont été pris en considération dans notre thèse pour comprendre les manières de vivre l’incarcération d’un proche. En effet, nous analyserons le cadre de l’expérience carcérale élargie en présentant les logiques institutionnelles en œuvre dans le traitement pénitentiaire des proches de détenus. Le poids de l’image sociale accolée au statut de « familles de détenus » au sein de la société française des années 2000 est considéré pour saisir l’expérience vécue des acteurs. Cependant, notre thèse part de l’hypothèse que si des acteurs sont fortement dévalorisés par ce statut et refusent une telle affiliation, d’autres, à l’inverse, vont s’attacher à combattre les a priori le caractérisant.

Notes
111.

DUBET F., Sociologie de l’expérience, Paris, Editions du Seuil, collection Couleur des idées, 1994, p. 101.

112.

SIMMEL G., Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1988 (1971), p. 101.

113.

BLUMER H., Symbolic interactionism. Perspective and method, Berkeley, Los Angeles, London, University of California press, 1969, p. 2.

114.

SCHNAPPER D., La compréhension sociologique. Démarche de l’analyse typologique, Paris, PUF, collection Le lien social, 1999.

115.

SCHNAPPER D., L’épreuve du chômage, Paris, Gallimard, 1981.

116.

ROSTAING C., « La compréhension sociologique de l’expérience carcérale », Revue européenne des sciences sociales, Tome XLIV, 2006, N°135, p. 34.