3.1. Une expérience de la séparation qui travaille le lien

D’abord, l’expérience carcérale élargie est une expérience de séparation avec un proche placé dans une institution dite « totale »127, car il a été condamné ou est suspecté d’avoir commis un acte illégal.

Le terme de séparation renvoie à la distance physique s’observant entre des individus ne partageant plus une vie commune quotidienne. La notion de séparation se distingue de celle de déliaison et de celle de désunion qui décrivent, dans notre thèse, des situations de ruptures relationnelles. Le terme de désunion est mobilisé pour évoquer une rupture de la relation conjugale, celui de déliaison est utilisé quand les liens de filiation, de fratrie, de quasi-parenté ou d’amitié se brisent. Ainsi, l’incarcération sépare inévitablement les personnes sans pour autant les délier ou les désunir systématiquement.

La séparation induit une gestion de l’absence et nous observerons comment les acteurs usent de tactiques pour rendre présent celui qui n’est pas là. Mais l’absence signifie également que la répartition des tâches au sein du foyer est rompue, le proche devant assumer une multitude des menus travaux ou démarches qui ne lui incombaient pas précédemment. Ainsi, le fonctionnement du groupe domestique évolue. Notre thèse analyse les modifications du « répertoire des rôles »128 de chacun dans la sphère familiale.

En outre, la séparation modifie la relation entre le détenu et ses proches. Elle peut accroître la distance relationnelle entre les individus ou au contraire renforcer le lien entre eux. Les notions de distance et de proximité rendent compte de l’élasticité des liens sociaux et décrivent la qualité des relations sociales entretenues entre l’enquêté et le détenu. La séparation est d’autant plus susceptible de porter atteinte à la relation que les conditions d’échanges entre les acteurs se réalisent selon des modalités restrictives définies par l’administration pénitentiaire. Il s’agira alors de définir les possibilités de communications entre un détenu et ses proches avant d’étudier si ces cadres interactionnels contraints et toujours potentiellement surveillés influent ou non sur le contenu des échanges ou sur la relation en elle-même.

Enfin, si la séparation ne constitue pas une dimension spécifique à notre objet, elle possède néanmoins des particularités à mettre au jour. Par exemple, cette séparation fait suite à l’accomplissement d’un délit ou d’un crime et il conviendra de se demander si sa nature a des conséquences sur la relation entre le détenu et ses proches.

Notes
127.

GOFFMAN E., 1968 (1961), op. cit.

128.

HANNERZ U., Explorer la ville, Paris, Edition de Minuit, Le sens commun, 1996 (1980).