Au fil des années, les travaux sociologiques ont déconstruit les analyses présentant les prisons comme des espaces clos, hermétiques137. Les prisons sont désormais plus ouvertes sur le dehors, les personnels dits « extérieurs » intervenants en détention sont plus nombreux réduisant par là même le caractère fermé de ces institutions. Si elles étaient précédemment analysées comme un lieu clos, hermétique au monde, les chercheurs appréhendent désormais les interférences entre les prisons et leur environnement sociétal et géographique. Elle ne peut plus être appréhendée comme un espace social autonome, les sociologues analysant les liens entre le dedans et le dehors qui augmentent toujours plus la porosité des murs des prisons dont les frontières s’estomperaient progressivement. Pourtant, les travaux réalisés restent essentiellement centrés sur la vie au sein des prisons et l’analyse des liens entre le dedans et le dehors reste marginale. Les interférences entre l’intérieur et l’extérieur ont fait l’objet de peu recherches. Quand les liens sont interrogés, les sociologues partent toujours d’une approche centrée sur l’intérieur, s’attachant à démontrer comment l’ouverture des prisons détermine sa vie interne ou comment le parcours pré-carcéral des détenus influence leur rapport à l’enfermement. Ainsi, les recherches étudient toujours comment la vie extérieure imprime sa marque sur la vie en prison138, et non l’inverse.
Notre perspective renverse l’étude des liens dedans-dehors en analysant comment la prison marque le dehors. Notre problématique centrée sur l’influence que la prison exerce par-delà ses murs prolonge l’approche ouverte par P. Combessie. Si A.M. Marchetti139 observe que les prisons salissent les territoires sur lesquels elles se situent, elle développe dans la suite de son travail, une analyse plus classique consacrée aux impacts des ouvertures institutionnelles sur la vie en prison. P. Combessie140 mène en revanche une recherche approfondie et novatrice essentiellement centrée sur l’influence réciproque entre les prisons et leur environnement géographique désigné sous le terme d’écosystème social environnant. Sa recherche se fonde sur un postulat de recherche prenant le contre-pied des travaux réalisés jusqu’alors : « la caractéristique principale de ce livre et son ambition initiale tiennent presque de la gageure : analyser la prison comme un système ouvert »141. P. Combessie observe comment la prison marque son environnement sur un « périmètre sensible » entourant les établissements pénitentiaires. Puis, il étudie les interférences entre l’exercice du pouvoir en prison et la spécificité de leur situation géographique.
Notre travail prolonge cette focale en déplaçant de la même manière le regard du dedans vers la périphérie de l’institution. Cependant, notre thèse ne se centre pas sur le périmètre géographique des prisons mais sur leur « périmètre relationnel ». Notre travail, dont l’enquête de terrain s’est quasi-exclusivement réalisée en dehors des murs142, reste plus focalisé sur l’extérieur de la prison. Pour autant, la recherche consiste bien à étudier les institutions pénitentiaires mais en partant de leurs frontières. Ainsi, notre thèse se fonde sur l’hypothèse de l’existence d’un espace intermédiaire entre le dedans et le dehors, où des individus vivent des situations particulières qui éclairent le fonctionnement des institutions carcérales. C’est donc à partir de la perspective des proches de détenus que notre travail renverse la question des liens dedans-dehors. Cette optique nous semble particulièrement pertinente dans la mesure où ces acteurs sont souvent considérés comme des ponts entre le dedans et le dehors. Deux axes de questionnements seront ici développés. D’abord, comme nous venons de le signaler, notre thèse interroge l’empreinte de la prison sur les proches des détenus : est-ce que la prison imprime sa marque sur leur vie relationnelle et professionnelle, sur leur identité ou leur parcours ? Ont-ils les moyens d’influencer à leur tour le fonctionnement des prisons ? Puis, l’approche privilégiée dans notre thèse permet d’aborder la question de la porosité ou de l’opacité des murs des prisons. A partir de cette question, notre thèse étudie les capacités d’évolution des prisons. L’enjeu de la recherche consiste à interroger les frontières institutionnelles des prisons qui semblent ne pas aller de soi. Les murs des prisons constituent-elles les frontières de l’institution ? Si la prison imprime son empreinte sur les proches de détenus, faut-il conclure que cette institution n’a pas de frontières ou à l’inverse qu’elle intègre dans ses frontières des acteurs dont elle n’a pourtant pas la charge ? L’adoption de la perspective des proches permet-elle de soutenir l’hypothèse d’une ouverture des prisons ou à l’inverse, les prisons apparaissent-elles comme des institutions résolument fermées ?
Le travail de D. Clemmer reste emblématique de cette perspective.
Par exemple, G. Chantraine écrit : « L’hypothèse fondatrice est que le rapport à l’extérieur structure pour une part le rapport à l’enfermement des détenu(e)s, et ce, a fortiori en maison d’arrêt, lieu où les détenu(e)s sont souvent incarcéré(e)s depuis peu et/ou sont voué(e)s à ne rester que pour un temps relativement restreint » in CHANTRAINE G., 2004, op. cit., p. 225.
MARCHETTI A.M. (en collaboration avec COMBESSIE P.), La prison dans la cité, Paris, Desclée de Brouwer, collection Habiter, 1996.
COMBESSIE P., Prisons des villes et des campagnes. Etude d’écologie sociale, Paris, Les Editions de l’Atelier, collection Champs pénitentiaires, 1996
Ibid., p. 9.
L’enquête de terrain s’est réalisée essentiellement en dehors des établissements pénitentiaires à l’exception des temps d’observations pendant les parloirs comme nous le présenterons dans le chapitre 2.