Le cœur des données a été réuni par entretiens et observations. L’étude de questionnaires (qui n’ont pas été réalisé à notre initiative) a complété le corpus de données. La présentation analytique des méthodologies mobilisées accorde une place aux difficultés rencontrées, celles-ci mettant au jour des aspects saillant de l’expérience carcérale élargie. Notre enquête de terrain s’est déroulée en trois phases.
Durant le premier semestre 2005, nous254 avons investi, plusieurs après-midi par semaine, la maison d’accueil de familles de détenus située devant une maison d’arrêt proche de Paris. Dans le même temps, nous nous rendions souvent devant une seconde maison d’arrêt pour diversifier les terrains de l’enquête.
La seconde phase de terrain menée de janvier à juillet 2006 s’est effectuée auprès d’une maison centrale de la périphérie parisienne. Le local associatif, installé dans l’enceinte de la prison, n’était accessible aux familles que quelques temps avant les parloirs255. Les proches étaient contraints d’attendre, devant la prison, sur le trottoir, installés sur deux petits bancs sous un seul abri de bus et nous attendions avec eux, sur le trottoir. Sur ces deux terrains, outre les prises de contact pour les entretiens, des observations ont été menées et des conversations informelles réalisées. Afin de diversifier les « situations de parole »256 nous suscitions des échanges entre proches où se dégageaient des épreuves partagées. Ces conversations faisaient également émerger des divergences de points de vue ou d’attitudes, et permettaient d’observer la nature des relations entre proches. Pendant cette phase, nous étions également régulièrement présente dans une association d’hébergement de proches de détenus. Ce lieu, tenu par des religieuses, offre aux personnes résidant à distance de la prison la possibilité de dormir une ou plusieurs nuits pour un prix très avantageux.
Dans une dernière phase d’enquête, nous avons effectué des démarches pour visiter les parloirs et des Unités de Visites Familiales (UVF)257, désormais nommé Unités de Vie Familiale, et d’autres pour rencontrer des personnels de surveillance et des conseillers d’insertion et de probation. Alors que certaines demandes sont restées vaines, d’autres ont abouti puisque nous avons intégré trois établissements (une maison d’arrêt, une maison centrale et un centre de détention) pendant une semaine (en maison d’arrêt et en maison centrale) et un week-end en centre de détention (les parloirs se déroulant uniquement le week-end). Cependant, les demandes d’accès aux UVF ainsi que les démarches pour contacter les conseillers d’insertion et de probation sont restées sans suite. Si le premier établissement disposant d’UVF nous a refusé l’accès en raison d’un trop grand nombre de sollicitations, un manque de personnel a motivé le refus du second établissement ne pouvant pas encadrer notre venue, les autres prisons contactées n’ont pas répondu à notre demande. Nous ne sommes pas non plus parvenue à rencontrer des conseillers d’insertion et de probation, malgré des relances successives. Deux hypothèses peuvent expliquer de tels silences. Le rapport souvent conflictuel que ces services entretiennent avec l’administration pénitentiaire les a probablement conduit à une grande méfiance vis-à-vis de notre recherche. Nous pensons également qu’il aurait peut-être été plus stratégique de solliciter ce personnel en orientant notre demande sur la réinsertion des détenus, prisme de rencontre qui aurait permis d’aborder ensuite la question des proches.
Au total, nous avons mené soixante entretiens semi-directifs auprès de proches de détenus sollicités pour la plupart aux portes des prisons alors qu’ils attendaient leur parloir ou qu’ils sortaient de leur visite. Les proches d’une même famille n’ont pas été rencontrés pour ne pas risquer d’entraver la liberté de parole des uns et des autres. En outre, nous avons interrogé une vingtaine des personnels de surveillance en poste au parloir.
Nous avons choisi de garder le « nous » au cours de cette partie même si nous avons été seule à réaliser l’enquête de terrain.
Depuis, le dispositif d’accueil a évolué, les locaux ont été réaménagés pour que les familles puissent accéder directement à la salle d’accueil, qui reste sous la responsabilité de l’association, sans temps d’attente sur le trottoir.
SCHWARTZ O., 1993, op. cit.,p. 268.
Une analyse de ces dispositifs de visites familiales, intimes et prolongées sera menée dans le chapitre 3.