3.1. Une population très diversifiée

Soixante entretiens ont été réalisé dont vingt cinq avec des parents de détenus (dont cinq pères), vingt quatre avec des compagnes ou épouses de détenus, cinq avec des membres de leur fratrie, un fils, une tante et quatre amis visitant très régulièrement un ami incarcéré.

L’incarcération n’a pas toujours été synonyme de rupture de la vie commune dans la mesure où les proches rencontrés ne partageaient pas nécessairement le même domicile que la personne désormais écrouée. Parmi les vingt cinq parents interrogés, seize hébergeaient encore leur fils avant sa mise en détention. Pour ces parents, l’incarcération s’accompagne d’une décohabitation. Parmi les vingt quatre partenaires de détenus rencontrées, treize partageaient le domicile avec leur compagnon ou conjoint désormais incarcéré. En ce qui concerne les onze autres, neuf n’étaient pas en couple avec leur ami avant son incarcération et pour deux d’entre elles, l’incarcération a eu lieu peu de temps après que ces personnes se rencontrent.

Parmi les vingt cinq parents interrogés, la moitié des parents rencontrés ne travaillent pas. Certaines mères se sont toujours occupées de leur foyer, d’autres sont à la retraite ou atteintes d’une maladie les contraignant à renoncer à une activité professionnelle.

Suivant les données d’A. Kensey et A. Désesquelles, les compagnes ou épouses de détenus sont surreprésentées dans notre travail. Ces auteurs indiquent que les conjoints et conjointes de détenus représentent 12% des visiteurs des détenus338 alors qu’elles constituent plus d’un tiers de la population de notre enquête. Parmi les vingt quatre partenaires de détenus interviewées, sept ont rencontré leur compagnon ou mari alors qu’ils étaient déjà incarcérés. Pour elles, comme pour deux autres partenaires, l’expérience carcérale élargie n’est pas synonyme de décohabitation. De plus, seize compagnes ou épouses de détenus interrogées ont des enfants, dont dix avec leur partenaire actuellement incarcéré et trois d’entre elles ont eu un « bébé parloir ». Conformément aux résultats de l’enquête de l’INSEE présentée dans le chapitre précédent, les compagnes ou épouses rencontrées ont souvent vécu des ruptures conjugales précédemment. La moitié des partenaires interrogées travaille, ce qui représente une proportion plus élevée que celle relevée dans le travail de l’INSEE : « Quatre femmes de détenus sur dix travaillent contre cinq femmes sur dix dans l’ensemble de la population »339. Parmi les douze partenaires ne travaillant pas, huit n’ont jamais exercé d’activité professionnelle, une est à la retraite et trois ont arrêté de travailler depuis l’incarcération de leur partenaire afin de se rendre disponibles pour les parloirs.

Quel est l’âge des personnes interviewées ? Parmi les proches rencontrés, cinq ont moins de 25 ans, onze ont entre 25-34 ans, dix entre 35-44 ans, treize entre 45-54 ans et enfin vingt ont plus de 55 ans. Les partenaires de détenus ont rarement plus de 45 ans et la moitié d’entre elles a moins de 35 ans. Ces données corroborent les résultats de l’enquête de l’INSEE qui indique que « l’âge moyen de la conjointe d’un détenu est de 34,4 ans »340. Enfin les compagnes ou épouses les plus jeunes ont pour la plupart leur partenaire incarcéré en maison d’arrêt, ce qui s’explique par le fait que les détenus incarcérés en maison d’arrêt sont plus jeunes que ceux des centre de détention et des maison centrale. Naturellement, et hormis deux exceptions, les parents de détenus ont toujours plus de 45 ans.

Trente neuf personnes rencontrées sont d’origine française, quatorze sont issues d’un pays du Maghreb et six sont originaires d’autres pays (deux Congo, Sénégal, Cambodge, Roumanie, Tchad).

Le milieu social des proches interrogés varie puisque nous avons rencontré des personnes très modestes alors que l’origine sociale d’autres interviewés étaient plus élevée. Si l’appartenance sociale des proches n’est pas homogène, la majorité évolue dans un milieu social très défavorisé, habitant souvent en HLM dans des quartiers dits « sensibles ». La plupart exercent aussi des emplois peu rémunérés appartenant aux catégories socioprofessionnelles les moins valorisées, quand les aides de l’Etat ne constituent pas leurs seules ressources financières. Cependant, insistons : si la plupart des proches étaient d’origine modeste, nous avons aussi mené des entretiens avec des personnes dont la condition sociale était bien moins précaire, voire favorisée.

Quelle est la situation pénale et judiciaire des détenus visités par les proches rencontrés ? Sur l’ensemble de la population de l’enquête :

  • trente huit personnes rendent visite à un proche incarcéré en maison d’arrêt et vingt deux ont leur proche détenu en maison centrale.
  • quarante deux proches sont en lien avec un détenu primaire (c'est-à-dire incarcéré pour la première fois) et dix huit visitent un détenu écroué pour la seconde fois au moins.
  • trente quatre personnes visitent un détenu prévenu, vingt six visitent un détenu condamné. Au 1er janvier 2009, sur les 66 178 personnes sous écrou, on compte 15 933 prévenus, soit 24 % de la population sous écrou. Le fait que nous nous soyons rendue devant des maisons d’arrêt explique le nombre élevé de proches en lien avec un détenu prévenu.
  • Les proches rencontrés rendent visite à des détenus ayant commis des délits/crimes très divers341. Le temps d’incarcération et les peines des détenus visités par les proches rencontrés s’étendent de quelques mois à perpétuité. Le terrain réalisé devant la maison centrale explique la forte proportion des détenus visités condamnés à de longues peines. Ainsi, neuf personnes rendent visite à des détenus condamnés à perpétuité.

Enfin, il faut répondre à la question suivante : depuis combien de mois ou d’années les proches éprouvent-ils l’expérience carcérale élargie et pour combien de temps encore ? La date de mise sous écrou du détenu marque le début de l’expérience carcérale élargie, à l’exception des compagnes ou épouses de détenus ayant rencontrées leur mari alors qu’il était incarcéré. Dans ces situations, c’est le moment de la rencontre qui est considéré. Ainsi, dix neufs personnes vivent cette situation depuis moins de six mois, onze l’éprouvent depuis plus de six moins et moins d’un an, etc.

Délai entre le début de l’expérience carcérale élargie et l’entretien Nombre de proches concernés
- 6 mois 19
+ 6 mois - 1 an 11
+ d’1 an - 2 ans 6
+ 2 ans - 5 ans 11
+ 5 ans -10 ans 8
+ 10 ans 5
Total 60

Concernant le délai entre la date de l’entretien et le moment où la sortie peut être attendue, nous relevons les situations suivantes. D’abord, quarante trois proches visitent des détenus pour lesquels aucune date de sortie n’est connue. Trente quatre détenus n’ont pas de date de sortie dans la mesure où ils sont prévenus, dix parce qu’ils sont condamnés à perpétuité. Ensuite, selon les estimations des enquêtés, aucun proche rencontré ne rend visite à un détenu libérable dans les six mois, trois visitent un détenu dont la date de sortie est programmée entre six mois et un an après le moment de l’entretien, etc.

Délai entre l’entretien et le moment espéré de la sortie Nombre de proches concernés
Détenus prévenus (sans date de sortie) 34
Moins de 6 mois à 6 mois 0
D’ici + 6 mois-1 ans 3
Dans plus d’un an et moins de 5 7
Dans + de 5 ans et moins de 10 3
Dans + de 10 ans 4
Perpétuité (sans date de sortie) 9
Total 60

Majoritairement composée de mères et de compagnes ou épouses de détenus, la population de l’enquête est essentiellement féminine. Quarante neufs entretiens ont été réalisés avec des femmes contre onze avec des hommes342. Cette dimension genrée de la population indique l’inclinaison matrilatérale de la sociabilité et du soutien familial. Les femmes restent le premier garant de la solidarité familiale. Nos terrains d’enquête et les spécificités de l’histoire familiale des détenus permettent de comprendre cette prédominance de femmes dans la population. Plus largement, l’histoire familiale des détenus expliquent pourquoi la population d’enquête comprend peu de pères, d’enfants, de frères ou sœurs de détenus.

Plusieurs facteurs permettent de comprendre pourquoi population d’enquête ne comprend que cinq pères de détenus. Si les pères ont rarement accepté de nous rencontrer en entretien, ils se rendent aussi moins souvent au parloir que les mères : 18 % des visiteurs sont des mères de détenus alors que les pères ne représentent que 13 % des visiteurs343. Comment l’expliquer ? D’abord, les pères sont plus souvent actifs que les mères. Or, les parloirs, pour les prévenus notamment, ont essentiellement lieu la semaine, ce qui limite leur possibilité de visiter leur fils incarcéré. Ensuite, les pères acceptent plus difficilement l’incarcération de leur enfant comme nous l’indique certaines mères de détenus dont le mari refuse de se rendre en prison ne tolérant pas l’acte commis par leur fils. De plus, si la détention explique en partie l’absence des pères, les liens entre les détenus et leur père étaient souvent très précaires voire rompus bien avant qu’ils ne soient écroués. Quand le père n’a pas déserté le foyer familial alors que la personne actuellement incarcérée était en bas âge, les détenus sont nombreux à entretenir des relations très conflictuelles avec leur père depuis de longues années : « très souvent, la vie familiale a connu des dispersions dès l’enfance : séparation des parents, changement fréquent de domicile ou de foyer, modification des personnes qui les élèvent (père, mère, grands-parents, familles d’accueil, personnels des institutions…). Ces éléments ont pu avoir pour conséquence un éclatement de la famille dès le plus jeune âge, un départ précoce du foyer d’origine, voire une rupture des relations familiales »344 et plus souvent une rupture des liens avec le père. Enfin, A. Kensey et A. Désesquelles indiquent que les détenus ont plus souvent perdu leur père que leur mère : « Huit détenus sur dix ont leur mère en vie et 56 % leur père»345. Selon les proches rencontrés en entretien, onze détenus visités ont des visites de leur père, cinq ne voient plus leur père depuis leur incarcération tandis que trente huit détenus visités n’avaient plus de contacts avec leur père bien avant leur mise en détention.

La population de l’enquête comprend également peu de frères et sœurs de détenus qui se rendent au parloir à un rythme moins soutenu que les mères ou les partenaires de détenus. A. Kensey et A. Désesquelles indiquent que « les frères et sœurs sont particulièrement représentés parmi les visiteurs mensuels (40%) et annuels (37%) »346. En outre, les frères et sœurs de détenus habitent moins souvent à proximité de la prison. Par conséquent, il était complexe de convenir d’un rendez-vous. Enfin, une partie d’entre eux était trop jeune pour effectuer des entretiens.

Enfin, un seul enfant de détenu a été rencontré. Quand les détenus incarcérés en maison d’arrêt ont des enfants, ils sont souvent trop jeunes pour répondre à un entretien. Par ailleurs, les détenus sont nombreux à ne plus avoir de relations avec leurs enfants : « la séparation d’avec ses enfants ou ses beaux-enfants apparaît comme une caractéristique des détenus. Les ruptures familiales, surtout celles qui impliquent des enfants et des beaux-enfants, sont fréquentes dans l’histoire des détenus »347. Là encore, si la mise en détention met un terme aux relations des détenus avec leurs enfants, bien des ruptures se sont produites avant l’incarcération : « Les hommes détenus étaient donc, dès avant leur incarcération, plus souvent séparés de leurs enfants »348. Au sein de notre population, trente quatre détenus visités par les proches rencontrés n’ont pas d’enfant, vingt six en ont349. Parmi ces vingt six détenus et d’après les proches interviewés, douze n’ont plus de relation avec leurs enfants. Tous les détenus visités par les proches rencontrés devant la maison centrale sont sans nouvelles de leur enfant selon les enquêtés. Enfin, lorsque les liens entre enfants et détenus sont maintenus, ils sont lâches. Comme le notent A. Désesquelles et A. Kensey,  les enfants se rendent rarement au parloir : « les relations avec les enfants sont elles aussi souvent très distendues : la moitié des détenus ayant des enfants les voit au plus une fois par an. 16% en voient au moins un une fois par semaine, 17% une fois par mois » 350. L’ensemble de ces raisons explique pourquoi un seul enfant de détenu a été rencontré dans le cadre de notre enquête.

Notes
338.

La surreprésentation des femmes de détenus est plus importante encore dans les travaux réalisés par G. Ricordeau et G. Bouchard qui précisent que leur enquête repose essentiellement sur des femmes de détenus . Voir : RICORDEAU G.,2005, op. cit., p. 31. ; BOUCHARD G., 2007, op. cit., p. 102.

339.

CASSAN F., LONGE E., « Les détenus ont connu des vies de couple précoces et instables » in INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Synthèses, Statistique publique, n°59, 2002, p. 47.

340.

Ibid., p. 45.

341.

Voir aussi le profil de la population en annexe. Notons que nous avons rencontré que trois personnes dont de proche était incarcéré pour mœurs. Trois hypothèses peuvent expliciter cette faible proportion dans notre population. D’abord nous pouvons supposer que les personnes rendant visite à un détenu incarcéré pour de tels motifs ont plus souvent refusé les entretiens. Ensuite, nous faisons l’hypothèse que les détenus incarcérés pour mœurs sont plus souvent dans une situation de ruptures familiales et entretiennent moins de relations avec l’extérieur. Enfin, nous supposons que les cinq proches qui ne nous ont pas informé du délit visitent un proche incarcéré pour un tel motif.

342.

On retrouve cette surreprésentation des femmes dans l’échantillon obtenu dans l’enquête réalisé par P. Le Quéau puisque que 89% des personnes interrogées sont des femmes. Voir LE QUEAU P. (dir.), 2000, op. cit.

343.

Voir le tableau qui figure p. 65 de l’article suivant : Désesquelles A., Kensey A ., 2006, op. cit.

344.

ROSTAING C., « Les non-réponses en question », in INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Synthèses, Statistique publique, n°59, 2002, p. 93.

345.

CASSAN F., TOULEMON L., « Recompositions familiales, fragilisation sociale et incarcération », in INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Synthèses, Statistique publique, n°59, 2002, p. 61.

346.

I bid ., p. 66.

347.

Ibid., p. 57.

348.

Ibid., p. 59.

349.

Ce qui est inférieur à la moyenne des détenus puisque l’INSEE note que plus de la moitié des détenus ont des enfants ». CLANCHE F., « Les hommes incarcérés et leurs familles » in INSEE, L’histoire familiale des hommes détenus, Synthèses, Statistique publique, n°59, 2002, p. 31.

350.

Désesquelles A., Kensey A ., 2006, op. cit., p. 66.