L’« empirisme instruit » suppose de présenter la situation d’enquête, d’éclairer les conditions de production des données et de caractériser la population de la recherche afin de délimiter le champ de pertinence des théories produites. Dans le cadre de notre thèse, le travail de terrain s’est avéré très éprouvant et très riche. Malgré des difficultés, l’enquête auprès des proches de détenus a permis de produire un important corpus de données. De plus, les observations pendant les parloirs et les entretiens auprès des surveillants se sont révélés très instructifs nous permettant d’appréhender leur expérience professionnelle et les tensions qui la caractérise. En outre, ils ont enrichi notre connaissance sur les proches de détenus en révélant des attitudes n’apparaissant pas dans les entretiens.
Si la présentation de la démarche analytique suivie affine la connaissance du processus de recherche, l’étude de la population d’enquête permet de circonscrire la pertinence des résultats proposés. Enfin, des réflexions critiques sur l’engagement du chercheur et à sa place durant l’enquête sont nécessaires pour asseoir la légitimité et la scientificité des analyses produites. Notre travail, comme toute enquête a ainsi été prise « tout entière dans ce double mouvement d’aller-retour, d’engagement et de désengagement, de familiarisation et d’éloignement, d’enracinement et d’arrachement »369.
La richesse du travail de réflexivité sur la situation d’enquête sert enfin à dégager des pistes d’analyses sur ce qui constitue l’expérience carcérale élargie. La compréhension des refus et des difficultés à programmer une partie des entretiens auprès des proches a permis de mettre au jour leur atomisation ainsi que leur manque de temps, signe d’un emploi du temps saturé. Les refus ont également révélé le fatalisme ainsi que la douleur et le sentiment de honte éprouvés par certains. De plus, les difficultés rencontrées rendent compte de la grande méfiance caractérisant les proches de détenus. Cependant, si nous avons fait face à la suspicion des enquêtés, nous avons pu constater leur grand besoin de parler qui révèle leur isolement face à la situation affrontée. L’étude des motifs ayant pu conduire les enquêtés à nous parler, parfois très longuement, révèle aussi leur désir d’être reconnu et de se distinguer. Par conséquent, l’analyse critique de la situation d’enquête donne lieu à de nombreuses observations qui constituent autant de pistes de travail approfondies dans les prochains chapitres de notre thèse.
CEFAÏ D., 2003, op. cit., p. 543.