Les relations familiales entre les personnes incarcérées et leurs proches sont placées sous la protection de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme370, selon lequel : « toute personne à droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Bien que l’article 8.2. précise que les autorités nationales peuvent y porter atteinte notamment au titre de la protection de la sécurité nationale ou de la défense de l’ordre, le respect de la vie privée constitue une obligation juridique « indépendamment de toute considération de pénologie ou pénitentiaire »371. Par ailleurs, les proches de détenus relèvent du droit commun, rien ne saurait porter atteinte aux droits dont ils disposent. C’est pourquoi, le code de procédure pénale les ignore372, ce qui semble aller de soi puisqu’ils n’ont pas accompli d’actes répréhensibles et que l’administration ne dispose pas de mandat judiciaire à leur encontre. Néanmoins, en définissant des droits aux détenus relatifs au maintien de leurs liens familiaux, le code de procédure pénale (CPP) restreint, en creux, l’exercice de certains droits des proches, et ce malgré les principes de légalité et de personnalisation des peines. Il n’est jamais porté atteinte aux « droits sur le papier »373 des proches de détenus mais l’effectivité de certains de leurs droits est entravée. Si les conditions de parloirs portent atteinte à l’intimité familiale des détenus, ces modalités de rencontres ne respectent pas également l’intimité des proches de détenus. Pour autant, ce renversement de perspective, partant de ce qu’éprouvent les familles de détenus, n’est jamais pensé. L’ensemble des dispositifs juridiques est structuré uniquement autour de la problématique du détenu, jamais suivant une logique familiale ou en considérant les effets sur ses proches. S’il est nécessaire d’observer les textes législatifs, il faut aussi considérer les réglementations en œuvre au sein de chaque prison. En effet, les règlements des établissements pénitentiaires sont autant la traduction concrète du code de procédure pénale et des textes internationaux, que le résultat de l’action des directeurs qui disposent d’une large marge de manœuvre. En outre, au-delà de sa rigidité, la réglementation revêt un flou et une souplesse incontestables. L’observation des pratiques des personnels de l’administration pénitentiaire est indispensable pour éviter une description décontextualisée des contraintes institutionnelles vécues par les proches.
Ainsi, le cadre des interactions entre proches et détenus est fixé par le code de procédure pénale et par les institutions carcérales qui doivent s’attacher à suivre des directives européennes et internationales. Les établissements pénitentiaires définissent les dispositifs d’accueil et de contrôle des proches autant que les règles de surveillance des relations qu’ils entretiennent avec le détenu visité. Ces éléments constituent ce que nous nommons la politique de l’administration pénitentiaire à l’égard des proches. Ainsi, elle désigne les entraves imposées aux relations détenus-proches autant que les mesures d’accueil et de contrôle visant les proches de détenus. La politique de l’administration pénitentiaire à l’égard des proches, ne peut se comprendre qu’au regard des dynamiques de régulations sociales en œuvre en prison. Elle est éclairée par la pluralité et l’ambivalence des missions caractérisant les institutions carcérales et par les impératifs de gestion de la détention les régissant. En effet, la problématique des liens familiaux n’est jamais pensée selon une finalité d’affaiblissement de la peine sociale vécue par les proches de détenus ; elle est toujours indexée à des questionnements relatifs aux détenus et au fonctionnement de l’institution pénitentiaire. Analyser cette politique revient à exposer les données juridiques et réglementaires la constituant, en s’attachant à saisir les logiques qui les fondent et leur mise en œuvre pratique et quotidienne.
La préoccupation de l’administration pénitentiaire à l’égard du maintien des liens familiaux a émergé, ces dernières décennies, sous l’impulsion de diverses dynamiques dont l’établissement d’un lien entre réinsertion et relations familiales (I). Cependant, la tendance progressiste trouve ses limites face à des politiques pénales répressives et aux missions sécuritaires et punitives des prisons toujours prioritaires. Ces règlements rigidifient le cadre des interactions entre détenus et proches ; ils justifient aussi les mesures de contrôle et de surveillance imposées aux proches (II). Enfin, la politique pénitentiaire à l’égard des proches est largement dictée par une volonté de maintien de la paix et par des logiques d’acteurs (III).
Ainsi, ce chapitre analyse les dimensions essentielles du cadre de l’expérience carcérale élargie en présentant la politique de l’administration pénitentiaire à l’égard des détenus, suivant l’hypothèse selon laquelle la gestion des proches de détenus s’inscrit dans les mêmes tensions que la gestion des détenus.
Convention consultable dans son intégralité à l’adresse Internet suivante : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf
BECHLIVANOU G., « Le droit européen et le maintien des liens familiaux » in UFRAMA, Familles de détenus ou familles condamnées ?, Saintes, 2001, p. 56.
Le droit ne définit pas non plus d’obligations à l’égard des proches : «si la famille subit (inévitablement ?) les conséquences de la peine, ce n’est pas elle qui est condamnée. Ses obligations sont morales ou sociales, celles de l’amour ou de la solidarité, elles ne sont pas juridiques » in MASSE M., « Le droit, le détenu et sa famille », in Le Secours catholique, 3 ème rencontre nationale des maisons d’accueil des familles et d’amis de détenus les 29 et 30 septembre 1995 à Poitiers, Saintes, 1996, p. 6.
Nous reprendrons ici la distinction établie par J. Leca entre la dimension statutaire et la dimension effective de la citoyenneté, la première correspondant à l’ensemble des droits et devoirs reconnus aux citoyens autrement qualifié de citoyenneté théorique ou de « citoyenneté sur le papier » (CONSTANT F., La citoyenneté, Paris, Montchrestien, 1998, p. 98) alors que la citoyenneté effective renvoie à la traduction réelle de l’exercice de ces droits. Les proches de détenus conservent la dimension statutaire de leur droit mais ils perdent l’exercice réel de certains de leurs droits reconnus théoriquement.