1.2. Les prisons du XIXéme siècle : grand enfermement et « fermeture » des prisons

A l’automne 1791, le code de procédure pénale est promulgué. Il présente la prison comme la peine principale de droit commun, sous l’influence des discours des philanthropes et notamment de C. Beccaria379 qui, dans son ouvrage Des délits et des peines, dénonce l’arbitraire de la justice et la barbarie des châtiments et milite en faveur de la légalité et de la douceur des peines. Les philanthropes sont animés par le souci constant d’introduire de l’humanité dans le traitement pour mener à bien une réforme morale de la personne détenue. Ils agissent selon une logique hygiéniste et veulent assainir les prisons. Ils revendiquent également l’instauration d’un contrôle des établissements pénitentiaires par la société civile. Pour ces penseurs, le détenu est coupable d’un acte répréhensible mais aussi victime d’une société désorganisée et d’un système pénitentiaire néfaste. Une volonté réformatrice des lieux d’enfermement est affichée mais elle peine à s’appliquer, leur idéologie se traduisant peu en actes : la rationalité budgétaire prend rapidement le pas sur les ambitions moralisatrices. De plus, en 1827, la publication des premières statistiques portant sur la récidive révèle l’ampleur du phénomène et conduit de nombreux acteurs à s’élever contre un régime de détention jugé trop laxiste380. Les influences philanthropiques se dissipent face à un régime drastique.

Il est attendu du gouvernement en place des mesures plus coercitives pour assurer une meilleure défense de la société à l’instar des modèles étrangers, notamment anglais et américain. Au cours du XIXéme siècle, la politique pénitentiaire se veut rigoureuse, redoutable et les politiques affichent la volonté d’isoler les détenus afin d’éviter la récidive. Les discours sur l’amendement des détenus promeuvent leur isolement381 pour éviter que la prison devienne une « école du crime ». Pour être réformés, les détenus doivent être isolés les uns des autres mais aussi protégés des relations extérieures qui les pervertissent. Selon les penseurs de l’époque, les échanges entre le détenu et ses proches sont perçus comme une source de dépravation. Ces liens entravent la réforme de l’âme du détenu382. Les objectifs de rééducation entraînent donc une grande restriction des liens entre le détenu et leurs proches. A cela, s’ajoutent des préoccupations hygiénistes. En effet, cette période est marquée par de grandes épidémies qui frappent nombreux détenus. Les solutions préconisées sur le plan médical renforcent les mesures destinées à combattre la contamination morale des détenus. La cellularisation et la restriction des possibilités de visite et de correspondance doivent lutter contre les risques moraux et les risques infectieux de la prison. Les visites des familles et les correspondances sont limitées par la circulaire du 2 octobre 1836 car les proches des détenus, contaminés lors de leur venue en prison, pourraient propager les épidémies au sein de la population civile. Néanmoins, au cours de cette période de « grand enferment », les familles restent autorisées à apporter de la nourriture aux détenus, comme l’atteste cet extrait du règlement général des prisons départementales383, publié le 30 octobre 1841 :

‘Art. 104. Lettres, secours et aliments du dehors.
Les condamnés pourront recevoir des lettres et des secours du dehors, dans les limites du Règlement de la maison.
Ils pourront, outre les aliments, recevoir du dehors tous autres objets autorisés, en se conformant aux prescriptions de l’article 62 du présent Règlement.
Art. 62. Restrictions alimentaires imposées aux condamnés.
Les condamnés peuvent être autorisés individuellement, par le préfet ou par le sous-préfet, sur l’avis de la commission de surveillance, à recevoir de leurs familles, ou à faire venir du dehors, les aliments dont l’usage aura été autorisé par le Règlement de la prison.’

L’année 1885 marque un nouveau changement dans les politiques pénales par suite de l’adoption de deux lois : la première concerne la relégation outre-mer des délinquants multirécidivistes et la seconde la libération conditionnelle pour bonne conduite. Alors que la seconde représente une avancée concernant la question des liens familiaux (les détenus peuvent rejoindre leur famille plus rapidement en cas de « bonne conduite »), la première s’avère particulièrement destructrice des liens familiaux : les proches des détenus envoyés dans les différentes colonies françaises sont privés de contacts. Cette loi s’ajoute à celle promulguée en 1854 sur la transportation des condamnés aux travaux forcés. Le début de la transportation des forçats remonte à la fin du XVIIème siècle, même si cette pratique a été largement plus répandue au cours du XVIIIème siècle, permettant ainsi à la population carcérale en France de diminuer très sensiblement. Néanmoins, les périodes de transferts des détenus en Guyane ou en Nouvelle Calédonie et des forçats en Amérique pour l’exécution de leur peine ou de travaux forcés sont révolues. Le 22 novembre 1938, la transportation des condamnés est abolie mais la relégation persiste jusqu’en 1970 où elle est définitivement abolie après que la loi du 6 juillet 1942 en ait déjà limité considérablement la portée. Les relégations révèlent en quoi la problématique des liens familiaux était ignorée : la question de l’éloignement familial ne se posait pas. Néanmoins, les relégués ayant prouvé une « repentance sincère », pouvaient demander que leurs proches les rejoignent dans les colonies, leur transport étant assuré gratuitement. Cette mesure était cependant limitée à un nombre très restreint de détenus et peu d’épouses choisissaient de rejoindre leur mari.

S’instaure ensuite un « temps immobile »384 où le régime pénitentiaire se veut toujours drastique. Les périodes de guerre sont particulièrement rigoureuses dans les prisons dont l’effectif de détenu enfle alors que la nourriture manque et qu’un froid aride s’installe durablement dans les établissements. Au cours de la première guerre mondiale, les prisons s’ouvrent à la société civile. En effet, sous la période de Vichy notamment, les établissements ne seront plus à même de nourrir et soigner les détenus. Les familles sont autorisées à apporter des colis et des associations caritatives sont sollicitées pour soigner les détenus.

Notes
379.

BECCARIA C., Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1991 (1764).

380.

« Le jugement d’un Guizot, d’un Thiers, d’un Rémusat ou d’un Duchâtel est sans appel : la prison coûte cher et elle n’a que des effets négatifs : elle produit ces trois fléaux que sont l’épidémie, l’homosexualité et la récidive. », in CARLIER C., «  Histoire de l’administration pénitentiaire, Les prisons du XIXè siècle », http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article161.html.

381.

Emerge alors un long et vigoureux débat sur l’enfermement individuel qui s’enrichit d’expériences menées à l’étranger et notamment des travaux d’A. De Tocqueville (TOCQUEVILLE A. (de), De la démocratie en Amérique, Tome I et Tome II, Paris, Gallimard, collection Folio histoire, 1997 ; BEAUMONT G. (de), TOCQUEVILLE A. (de), Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France, Paris, Gosselin, 1845.) sur le système pénitenciaire américain. Les échanges seront notamment passionnés concernant l’organisation du travail forcé et des conditions d’isolement des détenus. Les gouvernements hésitent entre le modèle aubérien (en 1824, la prison d’Auburn construite à New-York promeut un système dit mixte en imposant travail et prise des repas en commun dans le silence et un isolement limité à la nuit) et celui dit philadelphien où le régime de détention repose sur une obligation de travail en silence et un isolement permanent de jour comme de nuit en cellule individuelle. En France, une organisation de type philadelphien est finalement adoptée même si elle mettra de nombreuses décennies à être mise en oeuvre.

382.

Cette crainte perdure encore, en partie, aujourd’hui puisque le CPP, précise que les permis de visites ne peuvent être accordé à toute personne qui favoriserait la récidive du détenu. Nous y reviendrons dans la suite de ce chapitre.

383.

Règlement général des prisons départementales (maison d’arrêt, de justice et de correction), publié le 30 octobre 1841 et édicté par T. Duchatel, alors ministre et secrétaire d’Etat au département de l’intérieur. http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article202.html.

384.

VIMONT J.C., 2004, op. cit.