Considérer l’entourage du détenu comme un vecteur essentiel de la réinsertion sociale des personnes incarcérées génère des conséquences en terme de responsabilité et de contrôle pour les proches de détenus.
Lier liens familiaux et réinsertion n’est pas sans conséquence pour l’entourage du détenu dans la mesure où l’on peut émettre l’hypothèse qu’il se voit alors imputer la responsabilité de la réinsertion. En effet, l’administration pénitentiaire envisage de réaliser sa mission de réinsertion essentiellement à travers le maintien des liens familiaux. Par conséquent, elle ne travaille guère sur d’autres aspects de la réinsertion axant peu celle-ci sur la construction d’un projet professionnel par exemple. Or, si les proches sont les garants de la réinsertion des détenus, il est probable qu’ils se sentent également les premiers responsables de son échec éventuel. Par ailleurs, en responsabilisant les familles, les institutions pénitentiaires se déresponsabilisent. En effet, si l’insertion repose sur la force d’intégration des liens familiaux, sur la capacité des proches à trouver des relais aux futurs sortants de prison, alors l’administration pénitentiaire n’est plus considérée comme compétente et chargée d’assurer cette réinsertion. Les propos de P. Reynaert concernant le déplacement de la responsabilité à l’encontre des détenus peuvent être repris concernant leurs proches : « Dans un rapport de force inégal, responsabiliser la partie la plus faible, c’est toujours lui faire endosser le poids de l’échec, tout en permettant à la partie qui détient le pouvoir de s’en laver les mains »429. Par là même, les institutions pénitentiaires tendent à faire reposer sur les familles une mission qu’elles devraient elles-mêmes réaliser, ce qui a pour effet de générer un sentiment de responsabilisation pesant lourdement sur certains proches à l’instar de Loucine.
‘On prie seulement que le juge lui accorde la clémence et ne le condamne pas longtemps et qu’il ait une liberté provisoire parce qu’il a une adresse, une famille donc moi quelque part je me porte encore garant pour que la justice lui fasse encore confiance, qu’on le laisse sortir. Là du coup je me sens responsable et même quand il me demande d’écrire au juge, ce n’est pas une mince à faire de se porter garant de quelqu’un comme ça parce que si je me porte garant et qu’il part, qu’il fuit, je suis dedans. C’est ça, je suis entre le marteau et l’enclume, je suis entre les deux. C’est mon mari, je lui fais confiance, je l’aime, je veux qu’il rentre à la maison et de l’autre côté, je me demande s’il va respecter ce que le juge va lui réclamer, et si moi je me porte garant et qu’il ne respecte pas ses obligations et qu’il est parti et ben moi, je suis facile à attraper. Ça peut me retomber dessus. [Loucine, 41 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 4e mois.] ’De même, les mesures d’aménagement de peines justifiées souvent au nom du maintien des liens familiaux sont plus facilement attribuées si le détenu n’est pas isolé. Les membres des commissions d’application des peines, craignant que le détenu ne rentre pas d’une permission de sortie, voient en ses proches un gage de bonne conduite. Nous pouvons ici nous interroger sur le risque de poursuite encouru par les proches lorsque le détenu ne rentre pas d’une permission de sortie alors même qu’il s’était engagé à venir chercher le détenu et à le reconduire en détention.
Si les proches de détenus sont responsabilisés, ils sont également amenés à plus se dévoiler. En effet, la présence d’un entourage familial autour du détenu rassure les juges dans leurs prises de décision mais cela suppose que les proches dévoilent une part croissante de leur vie privée afin de fournir des garanties démontrant qu’ils sont aptes à constituer un « bon » support de réinsertion pour le détenu. Ils sont donc invités à donner des informations sur leurs conditions de vie afin que les détenus puissent obtenir une permission de sortie ou une libération conditionnelle. Ils doivent bien souvent indiquer leur lieu d’habitation et préciser s’ils ont suffisamment d’espace pour accueillir le détenu. Ils peuvent aussi être amenés à déclarer les revenus et les aides dont ils bénéficient, afin d’attester que leurs ressources soient suffisantes pour, au moins temporairement, prendre en charge le détenu. Si la famille est vue comme un gage de confiance pour attribuer des aménagements de peine aux détenus, accordés souvent au titre du maintien des liens familiaux, il faut que les proches présentent eux-mêmes des garanties certifiant qu’ils sont de « bons gages » de resocialisation. Ainsi, plus les proches de détenus prennent part au contrôle social sur les futurs ex-détenus, plus s’exerce sur eux un contrôle de la part de l’administration pénitentiaire et plus largement du système judiciaire.
Par ailleurs, les nouvelles mesures en faveur des liens familiaux peuvent s’accompagner d’un accroissement du regard de la prison sur les relations. En effet, l’octroi d’une UVF (ouverte aux membres de la famille et aux amis de détenus) exige la réalisation d’une enquête afin de s’assurer de la « qualité de la relation » entre le détenu et le visiteur. La circulaire relative au fonctionnement des UVF précise que le personnel socio-éducatif doit procéder à l’ « évaluation de la dynamique familiale » en resituant le détenu dans son environnement familial et social. Deux exemples issus du rapport de C. Rambourg illustrent cette fonction d’évaluation reconnue à l’administration pénitentiaire. Après avoir entamé une correspondance avec une femme depuis un an, et après avoir eu deux ou trois parloirs avec elle, un détenu fait une demande d’UVF. Selon les notes de l’auteur, le directeur n’accède pas à celle-ci se justifiant ainsi : « Je vais ajourner à trois mois pour que la relation, qui est récente, se consolide »430. Dans la seconde situation, la demande d’UVF d’une détenue est également déboutée car le personnel de la prison estime qu’il ne dispose pas assez d’éléments pour évaluer la relation entretenue avec son visiteur : « Madame X vient d’arriver, on attend de voir quelques mois, si son visiteur vient au parloir et surtout comment cela se passe »431. La circulaire réglementant le fonctionnement des UVF précise pourtant que « l’accès à l’UVF n’est pas soumis à un délai de séjour minimum au sein de l’établissement ». Le souci premier de l’administration est d’éviter que le détenu sollicite une UVF pour recevoir une prostituée432. Ainsi, cette mesure renforce le droit de regard de l’administration pénitentiaire sur la vie familiale des détenus, une telle enquête n’étant pas demandée pour les octrois de permis de visite. Par ailleurs, les UVF augmentent l’ingérence de l’administration dans la vie privée des détenus et de leurs proches. En effet, les conseillers d’insertion et de probation, à l’occasion de l’enquête, s’assurent que le proche qui fait la demande d’UVF est informé de la nature du délit commis par le détenu qu’il désire visiter et la lui indiquent si ce n’est pas le cas. Or, une telle disposition n’est pas prévue pour l’obtention de parloirs traditionnels.
Ainsi, le contrôle de l’administration pénitentiaire tend à se déplacer du détenu à ses proches et aux relations entretenues avec eux.
REYNAERT P., 2004, op. cit., p. 244.
RAMBOURG C., Les unités de visites familiales. Nouvelles pratiques, nouveaux liens, Rapport final, ENAP, CIRAP, 2006, p. 17.
Ibid., p. 18.
Le règlement intérieur des UVF précise bien que les UVF sont accessibles à toutes « personnes ne justifiant pas d’un lien de parenté juridiquement établi mais pour lesquelles un faisceau d’éléments permet d’attester d’un véritable et solide lien affectif avec la personne détenue dans le cadre d’un projet familial ». Extrait du règlement intérieur des UVF disponible en annexe.