2. Le souci du maintien des liens face au durcissement de la politique pénale

La portée des mesures préservant les liens familiaux est également restreinte au regard de la hausse constante de la durée des peines et de la sévérité des politiques pénales qui mettent les liens familiaux à l’épreuve. En effet, si les incarcérations au titre de la détention préventive régressent, la durée des peines s’allonge en raison d’une augmentation des périodes de sûreté et d’une baisse significative des mesures d’aménagement des peines. Selon P.V. Tournier, « depuis la loi de 1972, la fréquence d’octroi des libérations conditionnelles n’a cessé de diminuer, qu’elles soient de la compétence du juge ou du garde des sceaux. Si les tendances observées depuis plus de 20 ans se prolongent, on pourrait assister à une abolition de fait de cette institution plus que centenaire »433. Selon ce même auteur, on assiste à « une hausse concomitante de 26 % de la durée moyenne de détention »434. En outre, les incarcérations pour des peines courtes ne cessent d’augmenter435.

La baisse considérable des mesures d’aménagement des peines entre en contradiction avec le discours de l’administration pénitentiaire appréhendant les liens familiaux comme des vecteurs de réinsertion. En effet, alors que l’entourage des détenus est perçu comme un garant de la réinsertion, la justice, dans le même temps, accorde de moins en moins de mesures d’aménagement de peines aux détenus, empêchant ainsi les proches de remplir effectivement le rôle qui leur est désormais reconnu.

Par ailleurs, si le durcissement des politiques pénales augmentent la population carcérale et par la même la population ayant un proche incarcéré, l’augmentation des périodes de sûreté et la baisse considérable des mesures d’aménagement des peines fragilisent inévitablement les liens familiaux en imposant des durées de séparation entre le détenu et ses proches plus importantes.

Partant de là, on peut s’interroger sur le sens de ces nouvelles mesures. Les mesures instaurées pour préserver le maintien des liens familiaux atténuent l’inhumanité de la détention afin de la rendre plus compatible avec les principes républicains. Cependant, si de telles avancées peuvent être présentées comme des mesures compensatoires face au durcissement de la politique pénale française, elles peuvent aussi être vues comme des mesures permettant de légitimer un accroissement des temps de peine. Selon la première interprétation, les mesures devant garantir une plus grande intimité entre les détenus et leurs proches apparaissent comme des réponses partielles à la progression du temps de peine. Elles sont pensées comme un palliatif face à des mesures sécuritaires compromettant par ailleurs les liens familiaux. Suivant la seconde interprétation, les mesures qui contribuent à la normalisation des conditions de détention, rendent plus acceptable l’usage croissant de la prison. En effet, suivant la pensée de M. Foucault la réforme est une stratégie de légitimation de l’institution pénitentiaire436, un instrument de gouvernement. De même, pour P. Reyneart, « la réforme est sans nul doute, un facteur de pérennisation de la prison »437. Les mesures favorisant les liens familiaux seraient alors un outil permettant de justifier le recours à la détention et à des mesures plus sécuritaires car « si les conditions de vie en prison se normalisent, cela pourrait lever le frein (si frein il existe) à son usage »438. Autrement dit « plus la prison devient humaine, plus elle s’éloigne du cachot, plus elle donne de bonnes raisons d’être un instrument approprié de répression »439. De même, dans cette perspective, il est craint que des mesures comme les UVF se substituent aux octrois d’aménagements des peines, c'est-à-dire que les juges d’application des peines réduisent encore les attributions de permissions de sorties au prétexte que les détenus bénéficient d’UVF. Suivant cette hypothèse, le caractère progressiste des mesures en faveur du maintien des liens familiaux pose véritablement question.

Le durcissement de la politique pénale s’accompagne enfin d’une surpopulation sans précédent. La population pénale atteint des records : on comptait 48 000 détenus en 2000, 57 000 en 2003, 62 000 au 1er janvier 2009, 62 429 au 1er août 2009 pour un parc pénitentiaire d’à peine 51 000 places. Or, la surpopulation carcérale440 constitue un frein à l’extension de la durée des visites et à une augmentation de leur fréquence. Les espaces de parloirs ont une capacité de places limitée et le personnel pénitentiaire est insuffisant pour assurer la surveillance des parloirs selon des créneaux horaires plus étendus. Par ailleurs, la surpopulation accroît considérablement le travail des surveillants qui ont plus de linges à fouiller, plus de familles à contrôler, plus de parloirs à surveiller. La pression sur les surveillants augmente et détériore leurs relations avec les proches. En outre, la surpopulation réduit la marge d’action des surveillants contraints de moins tolérer le retard des familles par exemple. Un surveillant travaillant en maison d’arrêt insiste sur le fait que le retard de quelques minutes à chaque « tour de parloir »441 conduit à un retard d’un tour en fin de journée. Un autre surveillant indique qu’il était auparavant possible d’accepter une famille dans un autre créneau horaire où elle n’était pas prévue, si elle était arrivée en retard pour son parloir ou si elle signalait un problème d’enregistrement de son rendez-vous ; d’après lui, il est difficile sinon impossible d’agir ainsi aujourd’hui, l’ensemble des tours de parloirs étant complets. La marge de manœuvre des surveillants se réduit alors même qu’elle est une des conditions d’apaisement des tensions qui surviennent au parloir.

Le surpeuplement empêche donc une amélioration des conditions de visites et agit sur l’ensemble des acteurs de la prison : les détenus, les surveillants et leurs proches qui en subissent aussi les conséquences. La logique de gestion collective s’intensifie en cas de surpopulation empêchant une augmentation des temps de parloirs et alimentant les tensions entre les différents acteurs qui se rencontrent dans et à la périphérie des prisons.

Par ailleurs, les limites de la politique pénitentiaire à l’égard des proches et en faveur du maintien des liens familiaux s’expliquent par le fait qu’elle reste très largement déterminée par des logiques sécuritaire et punitive.

Notes
433.

TOURNIER P.V., « Apports de la démographie à l’étude du changement dans l’univers carcéral (1978-1988-1998) », in VEIL C., LHUILIER D., (dir.), La prison en changement, Ramonville Saint-Agne, Edition Erès, collection trajet, 2000, p. 124.

434.

Ibid., p. 113.

435.

TUBEX H., SNACKEN S., « L’évolution des longues peines de prison : sélectivité et dualisation », FAUGERON C., CHAUVENET A., COMBESSIE P.,Approches de la prison, Bruxelles : De Boeck Université / Montréal : Presses de l’Université de Montréal / Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, collection " Perspectives criminologiques ", 1996, pp. 222-243.

436.

FOUCAULT M., 1993 (1975), op. cit.

437.

REYNAERT P., 2004, op. cit., p. 235.

438.

KAMINSKI D., 2006, op. cit., p. 18.

439.

SALLE G., 2003, op. cit., p. 406.

440.

Rappelons que seules les maisons d’arrêt sont concernées par la surpopulation carcérale, les autres types d’établissements pénitentiaires, à savoir les maisons centrales et les centres de détention, sont régis selon le principe du numerus clausus et ne peuvent accueillir plus de détenus qu’elles n’ont de places disponibles.

441.

Dans la majorité des établissements, les visites sont organisées par « tour de parloir » qui se succèdent au fil de la journée. Les proches prennent rendez-vous pour une heure de parloir et doivent arriver pour l’appel au moins une demi-heure ou au moins un quart d’heure avant selon les établissements. Nous reviendrons sur l’appel dans le chapitre suivant, avant de se rendre au parloir qui dure, en maison d’arrêt, entre une demi-heure et trois-quarts d’heure. L’après midi comprend ainsi 5, 6, 7 voire 8 « tours de parloirs ». Les horaires des tours de parloirs de deux maisons d’arrêt figurent en annexe. Ainsi, par exemple, les visiteurs inscrits pour le premier parloir sont appelés à 13 H, le début du parloir est prévu à 13 h 15, la fin à 13 h 45 et ils devraient sortir à 14 H ; le second tour du parloir débute par l’appel des famille à 13 H 45 pour un parloir qui doit débuter à 14 H et prendre fin à 14h30, les familles devant être sorties à 14h45 ; le troisième tour débute par l’appel des familles à 14h 45 et ainsi de suite.