1.2. Des moyens d’action envers le détenu et ses proches

Affirmer que les mesures favorisant les liens familiaux participent au système de la carotte et du bâton signifie également qu’elles constituent des outils de pouvoir pour le personnel pénitentiaire qui s’exerce autant sur les détenus que sur leurs proches.

‘Des vrais problèmes avec les familles, on ne peut pas trop en avoir parce qu’ils savent que si leur comportement pose problème, le parloir il est plus court. Mais, on peut aussi prolonger un parloir c'est-à-dire que le gars, il a parloir pendant une heure normalement mais s’il y a de la place dans le parloir et pas de problème on peut laisser les personnes pendant deux heures ou plus. Donc le gars, son intérêt et la famille son intérêt c’est de se tenir correctement. Ils savent de toute façon qu’ils sont perdants dans l’histoire s’ils disent quelque chose. [Guillaume, 29 ans, surveillant en MC, 9 ans d’ancienneté.]
C’est très rare que le parloir se passe mal, qu’il y ait des incidents, c’est très, très rare. Les visiteurs, comme les détenus, savent que s’ils font une faute, ils seront privés de parloirs.[Vincent, 45 ans, surveillant en MC, 22 ans d’ancienneté.]’

Les mesures favorisant les liens familiaux peuvent d’abord être utilisées comme moyens de pression à l’encontre des détenus puisque l’administration les menace de limiter (de façon directe ou indirecte) les liens entretenus avec leurs proches selon leur comportement dans le sens où les visites leur sont interdites lorsqu’ils sont placés au quartier disciplinaire (à l’exception du premier parloir). Si la privation de parloir ne constitue plus une sanction disciplinaire en elle-même, elle accompagne toujours les sanctions de placement au quartier disciplinaire.

Notre propos peut s’illustrer aussi à partir de l’exemple des UVF qui peuvent être instrumentalisées à des fins de gestion des détenus. Si le refus d’accès aux UVF ne peut être motivé par le comportement du détenu (la circulaire précise qu’elles ne peuvent faire figure de sanction disciplinaire), C. Rambourg479 indique que le comportement du détenu est toujours examiné au cours de la commission d’octroi. L’auteur précise que l’attitude du détenu ne légitime jamais un refus d’UVF mais un mauvais comportement peut être invoqué pour justifier son report ou une réduction de leur durée. Ainsi, les UVF peuvent être utilisées comme un moyen de gouvernance de la détention afin d’en assurer un fonctionnement plus paisible. Elles enrichissent par là même le dispositif des privilèges480 et de ce fait n’appartiennent pas pleinement au registre du droit.

Les mesures favorisant les liens familiaux constituent également des outils permettant de faire respecter le règlement par les visiteurs. En effet, lorsqu’ils adoptent une conduite jugée indécente, lorsqu’il y a eu des échanges ou lorsqu’il y a eu une dispute violence lors d’un parloir, le proche et le détenu peuvent être contraints à des parloirs avec hygiaphone481, détenu et proche ne pouvant être en contact physique. La suppression de toute visite est possible en application de l’article D. 408 du CPP : « Les visiteurs dont l’attitude donne lieu à l’observation sont signalés à l’autorité ayant délivré le permis ; celle-ci apprécie si l’autorisation doit être supprimée ou suspendue » 482. Ces possibilités de suspendre ou de retirer les permis, et d’ordonner des parloirs avec hygiaphone, représentent de véritables menaces de sanctions disciplinaires à l’encontre du proche de détenu « alors même que cette personne ne relève pas du droit pénitentiaire »483. Elles créent alors un réel pouvoir coercitif sur ces acteurs.

‘Les familles ont très souvent un bon comportement mais il faut dire que c’est dans leur intérêt de bien se comporter. [Bernard, 54 ans, surveillant en CD, 20 ans d’ancienneté.]
C’est vrai qu’on n’a pas trop d’insultes de la part des familles parce qu’elles savent que l’on fait un rapport qui risque de faire supprimer le permis, donc elles sont assez vigilantes là-dessus. [François, 50 ans, surveillant en MA, 25 ans d’ancienneté.]
Les familles, elles sont plus ou moins correctes mais quand les choses commencent à aller mal, on peut prendre les devants et rien n’empêche de faire un compte rendu d’incident. On a la supériorité par rapport à ça. Quand on voit que la personne elle est trop impolie, qu’elle va trop loin, on peut faire un rapport et le directeur fait une suspension de permis. [Robert, 39 ans, surveillant en MA, 20 ans d’ancienneté.]’

Les visiteurs souffrent d’un manque de recours légitime et de moyen de défense lorsque leur permis est suspendu ou retiré. Ces textes possèdent une dimension disciplinaire alors même qu’ils s’appliquent aux proches de détenus, citoyens ordinaires. A partir de ces éléments, M. Herzog-Evans affirme qu’« il faut remarquer que le droit français traite paradoxalement de manière plus sévère les visiteurs que les visités détenus. En effet, alors que les visiteurs peuvent, comme on vient de le voir, être privés de tout contact, de manière définitive, avec les leurs, les détenus, eux, ne peuvent que se voir infliger des privations temporaires ou partielles » 484.

Nous rejoignons ici nos observations concernant les possibilités de suspension et de retrait de permis : dans la pratique, de telles mesures sont rarement prononcées à l’encontre des proches mais l’existence d’une telle possibilité suffit à s’assurer qu’une majorité des proches adopte un comportement conforme. En effet, certains proches redoutent toujours de se voir suspendre ou retirer leur permis, ils éprouvent une véritablement crainte à l’égard de l’institution et cette peur les incite à se soumettre largement à ses règles. Une des caractéristiques du fonctionnement de la détention à l’égard des détenus est également appliquée à leurs proches à savoir « le gouvernement par la crainte »485.

Les proches sont pleinement intégrés au système de la carotte et du bâton. S’ils sont récompensés en cas de bonne conduite, ils peuvent aussi se voir sanctionner en cas d’attitude jugée perturbatrice. Mais la préoccupation du maintien de la paix assouplit la politique pénitentiaire à l’égard des proches dans son exercice pratique.

Notes
479.

RAMBOURG C., 2006, op. cit.

480.

A ce titre, il est très révélateur qu’au cours d’un reportage télévisuel diffusé en janvier 2008, les UVF ont été présentés comme un dispositif réservé aux détenus ayant un bon comportement et ce alors même que la circulaire présentant ce dispositif ne fait pas référence à un tel critère. Cf : Reportage diffusée sur la chaîne M6 le 27 janvier 2008 dans le cadre de l’émission « Zone interdite » portant sur la thématique suivante : « faillites, prisons, drame de la vie : comment s’en sortir quand on a tout perdu ? ».

481.

La suppression de l’accès au parloir sans dispositif de séparation (art D. 251-1-4) est prévue lorsque « la faute a été commise au cours ou à l’occasion d’une visite ». Depuis la réforme instaurée par le décret (n°96-287) du 2 avril 1996, la durée de la sanction, prise en vertu de l’article D. 251-1-4, de privation de parloir a été précisée : elle est de quatre mois maximum. A l’inverse, la durée d’une sanction prise sur le fondement de l’article D. 405 est à la discrétion du chef d’établissement et peut donc excéder quatre mois.

482.

HERZOG-EVANS M., PECHILLON E., 2000, op. cit., p. 8.

483.

Ibid., p. 12.

484.

Ibid., p. 12

485.

CHAUVENET A., 1996, op. cit., p. 53.