3.1. La violence et inadaptabilité des lieux

La violence de la rencontre des proches aux institutions carcérales résulte en partie de son cadre architectural. Dans certaines prisons dépourvues d’espace d’accueil, les visiteurs attendent sous un simple abri de bus disposant d’un ou deux bancs. Tous ne peuvent être assis ni protégés des intempéries. L’attente, parfois longue, dans le froid en hiver est particulièrement mal supportée. L’absence de structures d’accueil apparaît aux yeux des proches comme un signe supplémentaire du désintérêt de l’administration à leur égard. Quand un espace d’attente existe, ce qui est désormais le cas de la majorité des établissements, le local n’est pas toujours assez vaste pour recevoir les visiteurs, notamment devant les maisons d’arrêt surpeuplées. Pour appuyer leurs propos les commentaires font souvent référence aux enfants.

Lors d’une conversation informelle, une jeune maman dont le compagnon est incarcéré en maison centrale nous dit : « Il est vraiment important que dans votre travail, vous insistiez sur le sort des enfants. Regardez, ma fille a moins de deux ans, après un long, long trajet, elle est là, dans sa poussette, à attendre dans le froid, il doit faire zéro degré et elle est obligée d’attendre au moins une heure là, à zéro degré… Et ça, la prison s’en fout ».

Les pièces dans lesquelles les familles attendent avant et après chaque parloir548 sont aussi largement critiquées : elles sont souvent trop petites et ne proposent pas assez de places assises. Robert, surveillant en maison d’arrêt, reconnaît que les pièces ne sont plus adaptées aux flux de personnes qui transitent.

‘Il y a des gens qui ne peuvent pas se retrouver dans un sas, qui sont claustrophobes, ils font des malaises et on les sort parce que c’est vrai que ce sont des petits sas. Les sas ils étaient valables quand il y avait 600 détenus au début où ils ont construit la prison, il y avait moins de visites et tout. Maintenant ils sont à plus de 800… Les sas seraient un peu plus grands, cela faciliterait les choses. [Robert, 39 ans, surveillant en MA, 20 ans d’ancienneté.]
Si vous tombez sur un surveillant qui est humain, il laisse la porte ouverte quand il fait très chaud mais si vous en avez un qui en a rien à foutre et il vous enferme là dedans et dans la pièce il fait 35° et vous n’avez pas de fenêtre et il y a des bébés, des femmes enceintes, des enfants parce que vous êtes au moins 15, enfermés dans une toute petite pièce parce qu’attendez la pièce n’est pas grande. [Clotilde, 55 ans, mère de deux détenus écroués en MA, prévenus, 4e mois.] ’

Les proches insistent surtout sur l’austérité des espaces de parloirs et des sas d’attente. Leur négligence traduit, selon leur propos, la faible estime que leur porte l’administration. L’inexistence d’aération, l’absence de peinture aux murs, des plafonds constitués de tuyaux et des fils électriques, le manque de point d’eau (alors que les visiteurs ne peuvent pas se rendre au parloir avec une bouteille d’eau) ou l’absence de toilettes sont lus par les proches comme des marques d’irrespect. De plus, la climatisation est rare et l’atmosphère devient rapidement oppressante dès que l’été s’installe.

‘Vous êtes déjà rentré visiter quelqu’un, c’est des chambres à gaz, ils nous font attendre dans des chambres à gaz, il y a des tuyaux avec des grillages sur le toit, au-dessus du grillage il y a plein de tuyau donc moi j’attends qu’une chose s’est qu’il tourne le bouton, c’est honteux, c’est honteux. [Carlos, 25 ans, fils d’un détenu écroué en MA, prévenu, 7e mois.]
Dans la pièce où on attend, ce sont des murs gris, vous avez un banc avec deux barres. C’est une pièce qui n’est pas large du tout et le plafond c’est une grille avec pleins de fil électrique. Elle est lugubre la pièce, au mon Dieu ! Il pourrait quand même mettre des couleurs parce que c’est démoralisant. C’est démoralisant. [Djamila, 40 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 1er mois.]’

L’inadaptabilité des lieux et leur austérité ont été soulignées par l’enquête réalisée par le Sénat en 2000549. Mais la saleté de ces lieux atteint plus encore les proches.

Notes
548.

Avant les parloirs, les visiteurs attendent que les parloirs précédents se libèrent ; après les parloirs, ils attendent que les détenus soient tous fouillés à corps avant d’être autorisés à quitter l’établissement. Nous reviendrons sur ces temps d’attente lors de la dernière partie de notre chapitre.

549.

« Tout d'abord, les " abris famille " ; les familles attendent d'accéder aux parloirs dans une salle exiguë, lorsqu'une telle salle existe. (…)Ensuite, le " parloir " lui-même : il s'agit souvent d'un endroit peu pratique d'accès dans la prison, mal nettoyé, mal éclairé, voire sordide comme à Toulon. A la maison d'arrêt de Fresnes, le parloir est au sous-sol, non loin des cuisines. La lumière artificielle est la règle. Les détenus et leurs familles disposent de peu d'espace. A la maison d'arrêt de Nanterre, la direction a dû installer un petit dispensaire qui permet aux personnes de se reposer : la circulation dans les couloirs pour rejoindre les parloirs, leur caractère sombre et oppressant provoquent régulièrement des malaises chez certains visiteurs...  » in Sénat, 2000, op. cit., p. 125.