2.2. De nombreuses règles à maîtriser pour constituer et déposer un sac de linge

La constitution du sac de linge s’avère aussi complexe pour les proches arrivants. Le linge ne doit pas être déposé dans n’importe quel sac. Dans la plupart des établissements, les sacs de voyage ne sont pas acceptés, seuls les sacs en plastique sont autorisés. Beaucoup de proches arrivants l’ignorent et ils ne peuvent déposer le linge sauf si la structure associative d’accueil ou d’autres familles leur fournissent des sacs « homologués ». Cependant, dans le centre de détention où nous avons mené nos observations, les sacs non fermés ne sont pas acceptés : les sacs de voyage étaient autorisés et les simples sacs en plastique refusés…

Si le contenant du linge est réglementé, son contenu répond aussi à de nombreuses contraintes et si le sac contient un vêtement non réglementaire, c’est l’ensemble du linge qui n’est pas accepté. Aussi, les surveillants répondent constamment à des questions comme celles-ci, recensées pendant nos observations : « Est-ce que les ceintures rentrent ? », « Est-ce que les pantacourts sont acceptés ? », « Est-ce que ça vous le considérez comme un pull ou comme un sweet ? », « un pantalon de cette couleur sera accepté ou pas ? », etc. En effet, les habits de couleur vert kaki ou bleu autant que les vêtements treillis sont refusés pour des raisons de sécurité. Les serviettes de toilette ne doivent pas dépasser une certaine dimension afin d’éviter les suicides et les évasions. Les affaires de toilette ne sont pas acceptées. Au départ, les proches ignorent ces contraintes et l’imaginaire des prisons guide leur action. Aussi, Corinne, une mère de détenu avait retiré toutes les ficelles des habits de son fils ainsi que les lacets de toutes ses chaussures. Elle n’avait également pas mis de jean pensant que de tels pantalons n’étaient pas acceptés à cause de leur couleur bleue.

‘Quand on arrive on ne sait pas, on ne peut pas s’imaginer. Les serviettes de toilettes je savais qu’il ne fallait pas qu’elles fassent plus d’1m 20, après je savais qu’il ne fallait pas de vêtements bleu marine. Mais mon fils, il n’avait que des jeans et ses jeans sont bleu marine alors je me dis « pas de jean » et je cherchais dans ces joggings, il en avait beaucoup de bleu marine et je lui en ai trouvé un beige donc j’ai mis celui-là. Puis, je me suis dit que non, cela n’allait pas passer parce qu’il y avait un cordon donc moi j’ai coupé tous les cordons de ses pantalons, du coup ses pantalons ne lui tenaient plus, le pauvre… et quand j’ai dit ça au surveillant il m’a dit que cela n’était pas la peine !… alors moi j’ai dû recoudre tout ces pantalons que j’avais coupés ! Et au parloir, mon fils m’a demandé pourquoi je ne lui avais pas mis de jean. Il m’a dit que c’était accepté, que tous les autres en avaient. Alors en descendant j’ai demandé au gardien en lui disant « mais je ne comprends pas, on n’a pas le droit au bleu marine, mais oui au jean » « oui, les jeans ils sont autorisés » alors que l’avocate m’avait dit que cela n’était pas autorisé donc en plus les informations ne sont pas les mêmes… [Corinne, 55 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e mois.]’

Dans certains établissements, les proches doivent, remplir une fiche de linge569 où ils recensent précisément le contenu du sac afin d’éviter que le surveillant soit accusé de vol. S’il n’y a pas une parfaite correspondance entre ce qui est notifié sur la feuille et le linge, le sac n’est pas accepté. Loucine, une compagne de détenu ne sachant ni lire ni écrire, peine à remplir cette fiche et son sac est souvent refusé.

‘A chaque fois, ils me refusent mon linge parce qu’il manque un petit truc. J’ai mal rempli la fiche, j’ai ajouté quelque chose qui n’était pas écrit ou je mets quelque chose de moins. A chaque fois, Il y avait seulement un petit truc en plus et au lieu seulement de l’enlever il me rende tout le sac. 7 fois de suite ils me l’ont refusé, pendant 7 fois. [Loucine, 41 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 4e mois.]’

Si le sac de linge crée de nombreuses difficultés quant à son contenant et son contenu, les règles relatives aux horaires et aux personnes pouvant le déposer génèrent d’autres problèmes. Lorsque personne n’a de permis pour aller voir un détenu, n’importe qui peut venir lui déposer du lingue à raison d’une fois par semaine, uniquement les jours où il y a parloir et dans certains créneaux horaires.

‘On ne se sent pas abandonné, on est rejeté. En fait les seules personnes que l’on voit ce sont les surveillants et ils ne nous disent rien. La première fois, je ne connaissais rien et je me suis fait jeter. Dans la semaine, mon mari était venu porter du linge mais dans un sac de sport et on ne savait pas que cela en rentrait pas. Il a réussi à trouver une personne pour lui donner un petit sac en plastique où il a mis caleçons, chaussettes mais pas plus et on ne savait pas qu’on avait le droit de porter du linge une fois seulement par semaine. Donc moi, deux jours après, je reviens avec du linge et là le surveillant me hurle dessus « il y a déjà un sac de déposé, vous ne pouvez pas, dégagez, mais dégagez, partez » sans autre explication. [Corinne, 55 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e mois.]’

Pour les autres détenus, seules les personnes ayant un permis de visites peuvent déposer du linge et ce, toujours à l’occasion d’un parloir. Une « situation impasse » peut être relatée, parmi d’autres, afin d’analyser la colère qu’elle suscite chez le visiteur et le conflit qu’elle génère avec le surveillant, impuissant qui répète, impuissant, qu’il ne peut outrepasser le règlement.

Deux hommes viennent pour déposer du linge pour un ami détenu. Le surveillant leur dit qu’ils ne peuvent pas car ils n’ont pas de permis de visite alors que le détenu a deux personnes qui possèdent un permis de visite. Il faut donc que ces personnes se déplacent pour déposer le linge lors d’un parloir. Or, les deux hommes expliquent au surveillant que les personnes détentrices de permis de visite ne peuvent plus venir. L’une est la mère du détenu désormais trop âgée pour se déplacer et les deux autres sont les sœurs du détenu qui ont rompu les liens avec leur frère.  Le surveillant explique alors qu’il ne peut rien faire, les hommes haussent le ton mais le sac de linge ne rentrera pas.

Ce descriptif laisse apparaître une image à la fois réelle et faussée de profusion des règles : malgré leur grand nombre, les proches ne doivent se soumettre qu’à une seule loi : « tout ce qui n’est pas autorisé est interdit ». Comme les détenus, ils sont soumis à la logique de fonctionnement propre aux prisons qui inverse l’ordre démocratique : « A l’inverse de tout ce qui se passe dans les rapport de droit de la vie civile, où tout ce qui n’est pas expressément défendu est autorisé, en prison, tout ce qui n’est pas expressément permis est interdit. »570.

Notes
569.

Vois en annexe un exemplaire d’une fiche de linge.

570.

CHAUVENET A., ORLIC F., BENGUIGUI G., 1994, op. cit.