La peine fixée, le rapport au temps des proches évolue vers un passé délaissé, un présent routinier et un futur valorisé. La mise au jour des évolutions de la temporalité des proches révèle le caractère dynamique de l’expérience carcérale élargie.
Même si elle n’est pas complètement absente des entretiens, la rétrospection apparaît plus négligeable. L’auscultation du passé laisse place à un horizon temporel axé sur le futur, même si la sortie est encore très lointaine. En effet, une peine même très longue ne rend pas invisible le futur, mais le temps est fragmenté pour supporter l’attente. Le futur valorisé se construit au présent et s’élabore pour ces proches au fil de la peine. L’investissement du futur passe aussi par la « préparation » du détenu : les acteurs travaillent à l’inscription de celui-ci dans la « réalité » de la vie extérieure, à la prise de conscience des difficultés corrélatives au statut d’ancien détenu, ils l’aident à penser et construire un projet professionnel, envisagent ses conditions de logement lors de la sortie600…
La sortie n’est pas anticipée dans les mêmes termes selon la nature du lien entretenu avec le détenu. Les parents, lorsque la peine est longue, espèrent avant tout que leur fils sortira avant qu’ils ne décèdent. Par ailleurs, ils cherchent avant tout à parer les effets « désinsérants » de l’incarcération : ils prévoient une épargne pour le futur sortant de prison, ils se disent disponibles pour accueillir leur enfant incarcéré à sa sortie, en tentent de lui trouver un emploi… Les partenaires de détenus, pour leur part, proposent des scénarii de vie conjugale et familiale idéalisés, où le détenu aura mis un terme à sa trajectoire délinquante pour s’inscrire dans un mode de vie normé. En effet, si les proches parviennent dorénavant à se penser dans un futur, l’avenir et la sortie du détenu sont largement fantasmés. Même si aucun entretien n’a été réalisé après la sortie, nous avons observé que les projets de vie présentés ne s’inscrivent pas toujours dans des éléments concrets et que les relations anticipées restent largement rêvées. La sortie est d’autant plus sujette aux fantasmes que la peine est longue et la date de libération éloignée. En effet, si l’incarcération du détenu reste courte et que la sortie proche (ce qui est souvent le cas des proches dont le détenu visité est placé en maison d’arrêt), les projets peuvent plus facilement prendre corps dans la réalité et sur des éléments de la vie pré-carcérale du détenu (celui-ci pourra par exemple réintégrer son logement ou son travail). Cependant, les proches dont les détenus ne seront pas libérés avant plusieurs années, présentent des scénarii d’une vie idyllique dont la réalisation future est peu crédible ; et ce d’autant plus qu’ils ne pourront que très difficilement s’appuyer sur des fondements de la vie pré-carcérale du détenu, celle-ci ayant été complètement renversée par l’incarcération quand elle n’était pas déjà très précaire. Cependant, ceci ne signifie pas que les incarcérations de courte durée soient moins destructrices pour le détenu et ses proches, leurs effets pouvant être aussi dommageables.
Entre un passé délaissé et un futur investi, le présent paraît routinier. D’abord, parce que les proches sont habitués à l’univers carcéral : ils sont socialisés à ces règles et à son fonctionnement. Ensuite, ils semblent familiarisés avec leur emploi du temps dans lequel les différentes activités se succèdent selon un rythme dense.
Nous développerons les formes de soutiens apportés par le proche au détenu dans le chapitre 7.