2.3. La croyance : foi religieuse et destin

La croyance est également présentée par les proches comme un support essentiel leur permettant de « tenir ». Elle se déploie sous forme d’une religion ou dans la certitude de l’existence d’un destin.

‘Moi je me dis que c’était ma vie que… J’ai un ami qui m’avait dit pendant le procès qu’il ne nous arrive que ce qui doit nous arriver dans la vie. Je m’en tiens à ça. [Monique, 54 ans, épouse d’un détenu écroué en CD, 7 ans, 4e année.]’

La foi religieuse réduit le sentiment de solitude parce qu’elle procure un sentiment d’appartenance à une communauté de croyants et donne l’impression d’être toujours accompagnés par une puissance divine que nous nommerons sous le terme de Dieu710.

De plus, la croyance donne du sens à l’expérience carcérale élargie. Elle permet de répondre à la question de la responsabilité de la souffrance vécue mais aussi au pourquoi d’une telle épreuve. De fait, à travers l’évocation d’un destin, la croyance tend à déresponsabiliser. Le destin agit « comme un principe d’apaisement qui atténue le poids d’un péché sinon écrasant »711. De la même manière, l’évocation, par les proches de détenus, d’une destinée à laquelle l’individu ne peut échapper leur permet d’atténuer leur culpabilité. La prédestination signifie que cette situation ne leur est pas imputable, qu’ils n’ont pas failli dans leurs rôles parentaux ou conjugaux. Par ailleurs, la situation est présentée comme une épreuve envoyée par Dieu qu’il faut accepter de ce fait et dans laquelle il faut faire ses preuves. Leurs propos reprennent aussi la figure du martyr : pour être un bon chrétien, comme pour être un bon musulman, il est nécessaire de souffrir. Par ailleurs, les actions de Dieu sont toujours présentées comme bienveillantes : tout ce est imposé par la puissance divine permet à l’homme de grandir. Ainsi, l’épreuve de l’incarcération ne peut être perçue comme négative : à partir du moment où elle est imposée par la puissance divine à laquelle croit les acteurs, elle ne peut être que salutaire. Si, selon leurs croyances, Dieu n’impose jamais des épreuves qui n’ont pas de sens et qui ne sont pas utiles, l’incarcération de son proche est présentée comme une épreuve divine nécessairement bénéfique pour soi-même autant que pour le détenu. L’évocation de la religion ouvre alors des perspectives d’avenir réjouissantes, leur situation ne pouvant être que meilleure après cette épreuve. L’évocation d’une destinée, d’une trajectoire tracée par puissance divine dont les intentions sont toujours bienveillantes permet d’ouvrir des perspectives de changements et d’améliorations positives.

‘C’est ça qui me remonte le moral, je me dis que peut-être que le bon Dieu il a fait ça pour lui ouvrir les yeux. Je crois beaucoup en Dieu. [Djamila, 40 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 1er mois.]
Ce qui m’apporte du soutien c’est ma religion, c’est ma religion tout simplement. Je suis musulmane. Oui c’est ma religion qui m’apporte ça. C’est grâce à la religion que je me dis, c’est pas grave, de toute façon c’est comme ça et que si c’est arrivé, c’est que cela devait arriver et que s’il arrive un truc dans la vie, si Dieu il a voulu que cela arrive maintenant et pas demain et pas demain, c’est pour que ça marque et pour qu’il comprenne quelque chose. Donc à partir de ce moment je me dis il a eu de la chance encore, il n’avait pas d’enfant, il n’avait pas de femme, il n’était pas marié, il va là bas et quand il va ressortir, il va repartir sur un nouveau pied. Moi la religion, ça a toujours été ma force… ça a toujours été ma force, c’est ma force. C’est ce qui me permet d’être forte et de me dire, ce qui devait arriver et arriver et c’est un bien pour moi. Parce que dans ma religion tout ce qui peux m’arriver, je pense que c’est un bien pour moi, par rapport à tout ça et pour les gens qui m’entourent. Je me dis que c’est mieux qu’il soit parti maintenant et non pas dans 5 ans et ben c’est qu’il faut qu’il comprenne maintenant et pas dans 5 ans. [Julie, 22 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.] ’

Ainsi la croyance religieuse et l’évocation du destin atténuent la solitude, déresponsabilisent, permettent d’accepter et d’ouvrir des horizons d’espoirs et d’avenirs. De tels propos sont d’ailleurs empreints d’un paradoxe : les proches s’y présentent comme des êtres passifs soumis à une prédestination et pourtant c’est à travers cette épreuve du destin qu’ils peuvent se construire en tant qu’être agissant.

L’expérience carcérale élargie est une épreuve de pertes qui marque les corps et procure le sentiment d’être enfermé. Les proches parviennent à supporter cette épreuve grâce à des ressources personnelles, à des supports relationnels ou à leur croyance. La présentation de ces éléments permet aux acteurs de signifier que leur individualité n’est pas nécessairement atteinte ou qu’elle peut se reconstruire à travers cette épreuve.

Notes
710.

Le terme Dieu est ici entendu au sens de puissance divine, d’un être suprême. Il désigne une divinité religieuse qui prend des figures différentes selon les religions. Nous n’établissons pas ici de distinctions entre les proches selon la nature de leur religion dans la mesure où leurs discours pour décrire le soutien que leur apporte leur croyance religieuse dans l’épreuve rencontrée étaient très proche quelque soit la religion à laquelle ils croyaient.

711.

KHOSROKHAVAR F., L’islam dans les prisons, Paris, Balland, collection Voix et regards, 2004, p. 80.