3.2. Une relation bienveillante avec les autres proches

La plupart de ces enquêtés soulignent que les autres proches ne sont pas nécessairement différents de soi. Ils entretiennent des relations courtoises avec eux, s’échangent quelques mots, s’informent de temps à autre. Ces proches parviennent, plus que les autres enquêtés, à établir des relations plus personnelles et intimes avec d’autres proches de détenus même si elles restent très circonstanciées781. Là encore, les rapports restent majoritairement distants. Si les autres proches sont comme eux des personnes en souffrance, ils respectent leur intimité en espérant que la leur sera respectée.

‘Moi, la première fois, j’avais été affolé par la file d’attente, je me disais « oh là, là, mais où je suis tombée » je ne connais pas ce milieu, j’avais l’impression que cela faisait un peu… délinquant même les gens qui y étaient et puis plus j’y vais, plus je me rends compte que les familles elles sont comme moi, démunies… [Corinne, 55 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e mois.]
Tout le monde souffre ici alors ça va, ça va, ça se passe bien. On discute et tout. On discute et tout passe bien. [Mehdi, 53 ans, père d’un détenu écroué en MA, prévenu, 3e mois.]
Il y en a qui n’ont pas envie de parler mais il y a une ou deux dames avec qui on se retrouve, avec qui on parle mais même quand on est enfermé en attendant de rentrer aux parloirs, à l’intérieur, les gens sont comme ça, tristes, chacun dans son monde, la tête baissée. Je n’ai pas trouvé d’amie, non, non. Non, en revanche être aimable avec les gens ça oui ce n’est pas un problème parce qu’on est tous dans la même galère comme on dit mais… de là à avoir une amitié, non. [Monique, 54 ans, épouse d’un détenu écroué en CD, 7 ans, 4e année.]
Quand on va vraiment devant les prisons, et ben on se rend compte qu’il y a de pauvres gens, c’est Monsieur et Madame tout le monde, en prison… quand on voit des mamans, des familles, c’est vraiment Monsieur et Madame tout le monde… Par contre, personne ne parle, c’est rare quand on trouve quelqu’un pour discuter, tout le monde est dans ses pensées. [Bertille, 57 ans, mère d’un détenu écroué en MC, perpétuité, 14e année.]’

Ainsi, cette expérience invite ces proches à réviser leur jugement sur la prison et ceux qui y sont confrontés. Souligner que les familles de détenus ne se distinguent pas des citoyens ordinaires est un moyen pour eux de signifier, qu’ils restent eux-mêmes des gens « comme tout le monde » malgré cette expérience hors norme.

Pour résumer, l’expérience carcérale élargie retournée est fondamentalement ambiguë. Si l’incarcération rompt la continuité du parcours de vie des proches, elle s’inscrit néanmoins dans le prolongement d’une période de dérives. Si elle marque une cassure qui atteint leur identité, elle est aussi positivée par ces acteurs qui la mettent en sens. La stigmatisation vécue s’accompagne d’une valorisation de l’épreuve qui génère un travail profitable de redéfinition de soi et de ses perspectives de vie future.

L’expérience retournée est essentiellement éprouvée par des personnes pensant que l’incarcération de leur proche sera courte. Lorsqu’elle se prolonge au-delà du temps envisagé par les acteurs, leur expérience peut évoluer : soit ils peuvent de nouveau s’inscrire dans une expérience présentée comme dévastatrice, soit leur vécu peut tendre vers une expérience carcérale élargie combative.

Notes
781.

Vois l’analyse des relations entre proches dans le chapitre 4.