1.1. Identité pour soi préservée du stigmate carcéral et révélation de l’information

Si les proches reconnaissent que le statut de proche de détenu est stigmatisé dans la société, ils l’assument pleinement. Ils affirment ne pas éprouver de honte et n’avoir aucune raison de « baisser les yeux » quand ils interagissent avec autrui. Comme l’indique D. Lhuillier pour traduire le comportement de certains détenus, « prévenir le sentiment d’indignité impose de marcher la tête haute »783. Si ces acteurs estiment que cette information relève de leur vie privée, ils refusent de mentir pour la cacher.

‘Et c'est vrai que j'ai des amis à qui je l'ai dit et qui ont eu un jugement. Je ne comprends pas les gens qui se permettent de juger les personnes sans les connaître parce qu’elles sont en prison et en règle générale je suis très, très cassante avec des gens qui ont des réactions comme ça, je ne le supporte pas. Donc non, moi je n’ai pas honte, je peux me mettre sur le toit du monde et hurler à la terre entière que mon mari est en prison, cela ne pose pas de problème. [Lalie, 45 ans, épouse d’un détenu écroué en MC, 40 ans, 15e année, en couple depuis 7 ans.]
Je marcherai toujours la tête haute concernant mon mari, je le connais. Ce que les gens peuvent dire cela m’est complètement égal. Comme j’ai dit moi je marcherai toujours la tête haute, c’est mon point d’honneur. Ce n’est pas moi qui vais marcher en baissant ma tête, il y a des familles qui peuvent mal le vivre, qui auront honte vis à vis de leur voisin mais moi non, non. Non, je ne l’ébruite pas non plus, cela ne regarde personne mais je n’ai pas honte. [Bénédicte, 40 ans, épouse d’un détenu écroué en MA, prévenu, 11e mois.]’

Leur réseau de sociabilité a été peu modifié suite à la révélation de cette information : certains évoluent dans un environnement familial, social et géographique où avoir un proche incarcéré n’est pas dégradant ; d’autres partagent avec leur entourage la thèse d’une erreur judiciaire. Quand des ruptures surviennent, les proches semblent peu affectés refusant de maintenir des relations avec des personnes qui n’acceptent pas leur situation ou jugent le détenu.

‘Dans l’ensemble, les gens ne m’ont pas trop lâchée mais bon il y a toujours deux ou trois abrutis. Mais bon, je pars du principe que c’est comme ça, on m’accepte comme je suis ou alors on ne m’accepte pas. Moi, je suis amoureuse d’un bonhomme qui est en prison. Si ça te convient c’est bien, si cela ne te convient pas et ben tu dégages, tu sors, on n’a rien à se dire, c’est tout. Mais bon non, c’est vrai j’ai eu de la chance. Et puis chez nous c’est assez courant ce genre d’histoires, dans la région, c’est assez courant donc il y a beaucoup de personnes qui comprennent et qui sont aussi passées par-là, dans leur entourage ou eux-mêmes. Du coup, on n’est pas montré du doigt. [Annabelle, 27 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e année.]
Quelqu’un m’avait dit qu’une fois qu’une personne était en prison, il y a beaucoup de gens qui se détachent. Alors de toute façon ce n’est pas grave, ce n’est pas très important. C’est comme la maladie, quelqu’un qui est malade, les gens n’osent plus, ils ne savent pas quoi dire mais attendez, il ne faut pas exagérer, si on n’est même pas capable d’aider un peu l’autre ce n’est pas la peine de le fréquenter. [Bernadette, 68 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.]’

Comment comprendre que leur identité personnelle ne soit pas entachée par le stigmate pesant sur leur statut de proche de détenu ? Deux éléments répondent à cette question. D’abord, leur identité pour soi est peu atteinte car, comme nous venons de le signaler, une partie d’entre eux vivent dans un environnement social dans lequel le statut de proche de détenu est moins stigmatisé que dans d’autres contextes. De ce fait, leur identité pour autrui est moins dégradée. Ensuite, leur soi est souvent préservé dans la mesure où cette expérience s’inscrit dans la continuité de leur parcours de vie. L’incarcération ne constitue pas de rupture identitaire et ne fait pas figure d’événement biographique. Ainsi, comprendre pourquoi leur soi se maintient au cours de cette épreuve suppose d’identifier les caractéristiques des personnes enclines à vivre l’incarcération de leur proche selon ce troisième idéal-type.

Notes
783.

LHUILIER D., 2001, op. cit., p. 215.