2.1. Faire sortir le détenu

Les proches mènent d’abord diverses actions devant permettre au détenu de retrouver la liberté au plus vite. Les acteurs convaincus de l’innocence de leur proche incarcéré réalisent de nombreuses démarches pour constituer le dossier de défense ou pour apporter des éléments permettant d’entamer une procédure de révision790 quand le détenu a été condamné de façon définitive. Les autres reconnaissent la peine justifiée mais estiment que l’incarcération perdure de manière excessive : ils effectuent alors des démarches pour que le détenu puisse bénéficier d’une libération conditionnelle. Lalie, pour sa part, dont le mari est atteint du sida, se bat pour obtenir une suspension de peine pour raison médicale791. Pour cela, elle exige des certificats médicaux, écrit aux parlementaires pour les alerter sur la situation de son mari et n’hésite pas à intervenir dans différents médias pour raconter son histoire.

‘On se bat pour qu’il sorte, on se bat pour ça et je me dis que l’on aboutira, on aboutira, ouais, ouais parce que notre cause… notre cause elle est juste et elle est légitime. [Lalie, 45 ans, épouse d’un détenu écroué en MC, 40 ans, 15e année, en couple depuis 7 ans.]’

Elodie tente d’obtenir une révision de procès pour son compagnon qui a épuisé tous les recours en France. Convaincue de son innocence, elle a beaucoup étudié les textes juridiques et a largement participé à la préparation du dossier de défense dont elle connaît chacune des pièces. Elle tente aujourd’hui de monter un dossier auprès de la cour européenne des droits de l’homme et de trouver de nouveaux éléments susceptibles d’ouvrir une procédure de révision. Par ailleurs, elle a intégré le groupe Mialet792 constitué de personnes souhaitant participer à une réflexion sur les dysfonctionnements des institutions judiciaires et pénitentiaires. Ce groupe dénonce notamment les erreurs judiciaires en aidant les familles de détenus à préparer des dossiers appuyant cette thèse. Elodie a enfin crée un comité de soutien et n’hésite pas à rencontrer des journalistes pour évoquer le cas de son ami dans les médias : elle a fait l’objet d’un portrait dans le journal Libération, elle est intervenue dans les émissions Faites rentrer l’accusé sur France 2 et Secrets d’actualité diffusé sur M6. Par ces interventions, elle souhaite que l’affaire de son ami continue à faire l’actualité, « qu’on en parle quoi qu’on en dise » affirme-t-elle. Elle porte le combat du détenu, éprouvant comme lui des rancoeurs contre la société et la justice.

‘Avant de commencer l’entretien, je tiens d’abord à vous préciser que mon ami est innocent, il est parfaitement innocent et il vit du coup très mal la détention car chaque jour il se demande ce qu’il fait en prison et chaque jour pour moi est une lutte, un combat pour sa libération. [Elodie, 45 ans, compagne d’un détenu écroué en MC, perpétuité, 7e année, en couple depuis 6 ans.] ’

Bernadette, mère d’un détenu prévenu, est très investie pour faire libérer son fils avant le procès et pour obtenir un non lieu lors du jugement à venir.

‘Là, je vais rester huit jours à Paris pour aller voir l’avocat, comme ça je peux mettre la pression un peu partout. Ben oui cela met la pression, si je vais voir l’avocat tous les jours en lui demandant s’il avance, ça lui met la pression. Je suis vraiment haineuse, haineuse contre le système et je crois que je suis comme un prisonnier, haineuse du système. Bon d’après l’avocat cela devrait se terminer assez rapidement mais de toute façon s’il y a du foin à faire je le ferai. Oh, qu’est-ce que je risque ? Je ne risque rien. Je n’ai plus rien à perdre, au contraire. [Bernadette, 68 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.]’

De même, France, sœur d’un détenu également prévenu, multiplie les rendez-vous avec l’avocat, tente de rencontrer le juge ou toute autre personne concernée par l’affaire quitte à outrepasser les hiérarchies et les droits.

‘Il faut savoir un truc c’est que quand je veux savoir quelque chose, je fais tout pour savoir, tout, je m’en fous de l’autorité des uns ou des autres, je m’en fous, comme je le dis, j’ai deux trous, ils ne vont pas m’en faire un troisième, c’est vulgaire mais c’est ça. Et là je me bats tous les jours pour prouver que mon frère est innocent. J’ai trouvé un des meilleurs avocats qui puisse pour le défendre. J’ai frappé à toutes les portes à la préfecture et j’ai réussi à être reçue par un mec qui habituellement ne reçoit jamais les familles de détenus. [France, 46 ans, sœur d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.]’

Les actions menées en faveur du détenu ne se limitent pas au combat pour sa libération, les proches sont aussi animés par la volonté de normaliser les conditions de détention.

Notes
790.

La révision d'une décision pénale définitive peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'un crime ou d'un délit lorsque :  1º Après une condamnation pour homicide, sont représentées des pièces propres à faire naître de suffisants indices sur l'existence de la prétendue victime de l'homicide ;
 2º Après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné ;   3º Un des témoins entendus a été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu ; le témoin ainsi condamné ne peut pas être entendu dans les nouveaux débats ; 4º Après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

791.

Suite aux rapports parlementaires de 2000, une mesure de suspension de peine pour raisons médicales a été adoptée dans la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur les droits des malades, qui permet aux malades condamnés de sortir de prison, sur la base de critères exclusivement médicaux. La suspension de peine pour raisons médicales est ainsi définie à l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale : « La suspension de peine peut être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est incompatible avec le maintien en détention, hors le cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux. »

792.

Pour en savoir plus, voir le site Internet de ce groupe : www.groupe mialet.org/.