2. L’engagement parental

Dans la mesure où notre population comprend peu de père de détenu, il s’agit ici de rendre compte de l’engagement des mères envers leur fils incarcéré. Nombre de mères  à qui nous demandions si elles avaient un jour envisagé de ne plus visiter leur fils, ont proposé des réponses proches de celle d’Anne.

‘On voit que vous n’êtes pas encore mère, si vous l’étiez, vous ne poseriez pas cette question. On comprend quand on devient soi-même maman. Vous verrez qu’il y a des sentiments qui viennent et qu'on ne connaît pas quand on n’est pas maman. On est obligé d’aller le voir, c'est notre chair, on l'a porté. [Anne, 60 ans, mère d’un détenu écroué en MA, condamné (8 ans), 4e année.]’

A la différence du lien conjugal où une pluralité de justifications se cumule, l’engagement envers son fils est motivé par une simple et unique réponse : « parce que c’est mon fils ». La qualité même du lien de filiation justifie à lui seul son maintien. Les propos traduisent alors la très forte norme pesant sur les rapports de filiation selon laquelle une mère a le devoir d’être toujours présente pour ses enfants. Les mères de détenus soulignent l’évidence morale d’être là pour leur fils, il serait immoral et indigne de leur part de ne pas soutenir leur fils. Elles seraient de « mauvaises mères » si elles n’étaient pas là pour lui, même si dans le même temps, leur soutien apparaît parfois aux yeux d’autrui comme une forme d’acceptation des faits commis pouvant les faire apparaître comme des complices.

‘Je crois qu’il y a des moments où on ne réalise pas trop, on y va et voilà. Il faut du courage mais bon on ne peut pas le laisser, ce n’est pas possible. Je n’ai jamais pensé à ne plus aller le voir au parloir, non, non, non. [Christine, 59 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 18e mois.]
Il y a des jours où je n’ai pas envie, vraiment, je n’ai pas envie d’aller le voir. Il est très exigeant. Mais j’y vais parce que c’est mon fils, je ne peux pas l’abandonner là bas. Je ne peux pas le laisser là bas, ce n’est pas possible. [Martine, 56 ans, mère d’un détenu écroué en MC, 13 ans, 10e année.]
Aucune mère ne peut être d’accord avec ce qu’il a fait ou alors il faut être la reine des crapules. Moi j’ai mon petit travail, j’ai ma petite maison, je n’ai pas besoin de faire des trucs comme ça pour vivre, non, je suis honnête et je n’ai pas besoin de trucs comme ça. Mais mon fils, c’est mon fils, quoi qu’il ait fait. Je dis que je n’approuve pas ce qu’il a fait mais mon fils, c’est mon fils et je serai là jusqu’à ce que le Bon Dieu me prenne mon dernier souffle. (…) De toute façon j’irai le voir parce que c’est mon fils et j’ai été choquée parce que jamais je n’aurai pensé que mon fils il aurait fait un truc comme ça, vous ne pensez jamais que votre enfant il va vendre de la drogue, qu’il pouvait tirer sur quelqu’un, je n’aurais jamais cru qu’il faisait ça. Mais bon, je ne le lâcherai pas. Même si j’étais handicapée j’irais le voir, sur une chaise roulante. C’est mon fils, je l’aime, je l’aime. [Amina, 43 ans, mère d’un détenu écroué en MA, prévenu, 3e mois.]’

Le lien de filiation est pensé par ces parents comme fondamentalement indissoluble, et rares sont les enquêtés qui comprennent les parents faisant le choix de rompre avec leur enfant incarcéré. Le sentiment de responsabilité des parents à l’égard de leur fils incarcéré et l’évocation du caractère indéfectible du lien présentés par les acteurs rejoignent les obligations légales et juridiques du lien de filiation tel qu’il est défini dans la loi française. En effet, les parents ont la charge juridique de leur enfant et les évolutions du droit s’attachent à renforcer la dimension pérenne et indissoluble du lien de filiation865. Notons néanmoins que la décision de rompre les liens avec son fils est apparu légitime pour certains si le délit/crime accompli est intolérable. De plus, si la force de la norme est avérée dans notre enquête en ce qui concerne le lien entre une mère et son/ses fils, la question se pose de savoir si le devoir moral des mères envers leur(s) fille(s) est aussi fort. Par ailleurs, au vu du nombre réduit de père devant les prisons, il semble également que le devoir de présence et de soutien est moins présent dans la relation entre un père et son/ses fils.

Signalons enfin que Carlos met également en avant la dimension statutaire du lien pour justifier le soutien apporté à son père. L’obligation morale d’être présent auprès de son père s’impose d’autant plus à lui que sa mère refuse de le visiter.

‘- Pourquoi faites-vous tout ça ?
- (rire) Parce que c’est mon père… [Carlos, 25 ans, fils d’un détenu écroué en MA, prévenu, 7e mois.]’

Il apparaît que dans les rapports de filiation, le lien statutaire contient en lui-même une dimension affective forte. La proximité affective n’a pas à être énoncée et prouvée, elle est contenue dans le caractère statutaire des liens de filiation. A l’inverse, la régulation statutaire des liens de conjugalité n’induit pas nécessairement une proximité affective entre les partenaires, et c’est pourquoi elle doit être précisée par ailleurs. Ainsi, régulation affinitaire et statutaire sont inexorablement liées dans le lien de filiation ; et ce, à la différence du lien de conjugalité où l’une peut exister sans l’autre. Ainsi, nous partageons l’idée que « le lien de filiation est conçu comme un lien organique, irrévocable, alors que le lien conjugal apparaît contractuel »866, mais cette contractualisation ne rend pas nécessairement les relations de conjugalité plus fragiles.

Notes
865.

THERY I., 1998, op. cit.

866.

CICCHELLI-PUGEAULT C., CICCHELLI V., 1998, op. cit., p. 108.