1.1. Diversité des supports de liens et intimité dérobée

En dehors des parloirs, du téléphone et de la correspondance, les liens entre les proches se tissent à travers les mandats, le colis de Noël et le linge. Les proches tiennent particulièrement à s’occuper du linge du détenu puisque prendre soin du linge est une manière de prendre soin de lui. Par ailleurs, selon J. C. Kaufmann, la conjugalité se construit à travers la mise en commun du linge929. Pour cet auteur, le partage du linge marque une étape fondatrice de la vie conjugale, l’acquisition d’une machine à laver instaurant le couple. Ne pas laver le linge du détenu serait vécu comme une rupture supplémentaire de la vie conjugale, c’est pourquoi il est si important pour les conjointes d’accomplir cette tâche.

Une pluralité de manières d’échanger avec le détenu s’observe en marge des moyens de communication « officiels ». Par exemple, quelques proches se risquent à des parloirs sauvages930 malgré la sanction encourue en cas d’interpellation. Les proches peuvent également adresser des messages aux détenus grâce à des radios libres, se résignant à accepter une communication sans réciprocité et à l’écoute de tous.

‘On s’écrit et puis il y a une radio où on peut faire des dédicaces les mercredi soirs mais les dédicaces c’est pénible parce que je lui envoie un message et puis il n’y a pas de retour en fait, il n’y a pas de retour donc c’est pénible mais bon. Surtout que c’est diffusé dans toute la région parisienne donc… je lui dis « tu sais mon amour, je t’aime » et il y a toute la région parisienne qui entend « mon amour je t’aime », c’est très confidentiel ! Mais bon je le fais quand même. [Annabelle, 27 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e année.]’

Par ailleurs, chacun développe une grande ingéniosité pour construire ou reconstruire une proximité conjugale et familiale quotidienne par une multitude de « micro-échanges » échappant au contrôle de l’administration pénitentiaire. Ces « micro-échanges » ouvrent des « micro-sphères » d’intimité fondamentales pour supporter la séparation de chaque côté des murs. Malgré l’interdit, des lettres, des photos, des dessins, des poèmes transitent dans les parloirs. Ils peuvent également être l’occasion de partager de la nourriture ou d’échanger montre ou vêtement en guise de cadeaux. Par exemple, Hélène raconte comment pendant un parloir elle a offert une petite sculpture d’éléphant à son ami en la dissimulant dans sa bouche. Par ailleurs, Violaine et son mari partagent des bribes d’intimité en s’écrivant sur le linge.

‘Il m’écrit sur les vêtements en fait… Non mais vous savez on arrive à se contenter de peu, on arrive à sourire, à être heureuse pour un petit rien. Moi quand je lave son linge et que je vois des mots sur les t-shirt, je suis heureuse. [Violaine, 25 ans, épouse d’un détenu écroué en MA, prévenu, 5e mois.]’

Les acteurs restent également liés en créant de la présence et du partage malgré la séparation.

Notes
929.

KAUFMANN J.C., La trame de la vie conjugale : analyse du couple par son linge, Paris, Pocket, Nathan, 1997 (1992).

930.

Les parloirs sauvages désignent les échanges entre les personnes incarcérées et les proches quand ces derniers s’adressent aux détenus en criant de la rue. Les personnes s’adonnant à des parloirs sauvages sont qualifiés de « hurleurs » par M. Pernot qui en proposent des portraits photographique dont certains sont présentés en annexes.