2.1. Attitude paradoxale des proches

La plupart des enquêtés affirment que le détenu est exigeant car il les contraint à des visites fréquentes ou leur demande des mandats importants, des vêtements de marque, etc. Souvent, les proches accèdent à ces requêtes souhaitant atténuer, autant que possible, les difficultés de la vie carcérale.

‘Là par exemple, le week-end prochain il n’y a pas de place dans l’appart de l’association et donc je ne viens pas et il l’a mal pris mais je n’ai pas le choix, et puis je viens assez régulièrement depuis le mois d’avril donc on ne va pas exagérer quand même. Lui, il l’a mal pris, il me dit « ouais mais j’avais l’habitude de te voir…», « ben oui mais on va faire un compromis, on va faire un mercredi là et puis mercredi d’après et puis le week-end d’après ». Il veut que je vienne très souvent, il est exigeant, il est très, très, exigeant parce qu’il me demande de venir le mercredi en plus du week-end, mais pour moi, de venir le mercredi, cela me fait trop, cela me fait cher, cela me fatigue trop mais bon, je viens quand même. [Angela, 30 ans, compagne d’un détenu écroué en MC, 30 ans, 5e année, en couple depuis 2 ans.]
Au début surtout, il lui fallait telle paire de baskets à 90 euros, maintenant cela va mieux. Mais c’est vrai qu’il m’a demandé des sweaters alors je lui ramène des sweaters à capuche à 100 euros et il m’a dit « je ne veux pas de capuche » ! Je ne lui ai jamais dit, je me suis toujours contenue, c’est des choses pour lesquelles je me suis contenue en me disant que si cela lui faisait plaisir, peut-être qu’il y a d’autres raisons, je ne sais pas ce qu’il se passe derrière les murs de la prison, il y a peut-être une différence par rapport au style vestimentaire… [Sabrina, 27 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 5e mois.]’

Ainsi, les proches accusent le détenu visité de ne pas mesurer l’importance de l’engagement effectué à son égard et du temps qui lui est consacré. Or, le détenu n’est pas en mesure d’apprécier pleinement les efforts accomplis par son proche dans la mesure où celui-ci ne souhaite pas l’informer de ses difficultés et des contraintes supportées pour ne pas accroître sa souffrance provoquée par la vie en détention. Les proches se plaignent des demandes nombreuses du détenu inconscient des efforts déjà fournis mais ils s’attachent paradoxalement à lui dissimuler les contraintes de l’engagement accompli. De la même façon, les proches préservent le détenu en évitant de lui divulguer les difficultés rencontrées mais ils espèrent que leur propre souffrance incitera le détenu à ne pas récidiver. Ainsi, la mise sous silence de leurs difficultés peut générer des tensions sous-jacentes dans les relations et entrer en contradiction avec leur désir d’encourager le détenu à rester dans la légalité.

Cependant, parfois, le proche éprouve une certaine rancune et ne parvient pas à dissimuler son ressentiment. Il reproche alors au détenu ses actes et la situation qui en résulte, ce qui évidemment crée des conflits dans les interactions.

‘Ouais cela se passe toujours très bien. Peut-être au début cela ne se passait pas bien mais bon peut-être au départ parce que des fois je lui en veux en fait parce que je suis… C’est ma rancune en fait qui remonte à chaque fois. Je suis hyper rancunière et je lui en veux vraiment de m’emmener là-bas à chaque fois. Et des fois quand je suis mal, je lui dis : « ouais regarde c’est à cause de toi qu’on est là ». [Julie, 22 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.]
Depuis quelque temps, sa mère lui en veut, elle lui en veut. Elle se dit bon il faut que je monte là haut, cela coûte des sous, ce sont des contraintes, tout ça c’est à cause de lui. En ce moment elle le rejette… donc en ce moment c’est plutôt moi qui monte car quand c’est elle qui vient, les parloirs ne se passent pas très bien. [Annabelle, 27 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 2e année.]’

Aïcha explique que son partenaire la sollicite souvent pour des « missions » pas toujours légales. Si elle les accomplit, elle l’interpelle en lui rappelant les contraintes qu’elle supporte.

‘Ah ouais ce qu’ils aiment trop, c’est vous envoyer en mission. Ah ouais, oh là, là…. Du style, « bon ben tu vas voir il y a quelqu’un qui va t’appeler à cette heure ci, il va te donner quelque chose pour moi, tu me le ramènes ». L’autre jour c’était en pleine nuit, j’étais dans ma voiture, la personne t’appelle, tu la connais même pas… La semaine dernière, il m’avait donné un courrier la semaine dernière mais je ne l’ai pas donné tout de suite au mec. Il m’a appelé « ouais tu as donné le courrier » « non je ne l’ai pas encore fait » et pourtant j’avais appelé le gars « ouais j’ai un truc pour toi, c’est de la part de M. », il me dit « ouais ben envoie le par courrier », « ouais mais je n’ai pas ton adresse et sur l’enveloppe il y a écrit des trucs dessus, je ne peux pas te l’envoyer par la poste », « bon ben je te rappelle demain » « ouais ok » Le lendemain, il m’appelle « ouais je peux récupérer la lettre » « non là je ne peux pas je suis occupée » en fait, c’était juste que ça me saoulait. Il faut appeler les gens, la personne je ne la connais même pas, je ne sais même pas à quoi elle ressemble ni rien, il faut se donner un point de rendez-vous, il faut donner le courrier. Bon finalement je l’ai fait… Au début il me demandait tout le temps des trucs à faire, mais j’ai mis les points sur les « i » parce qu’au parloir, on leur ramène du shit. A un moment, je n’y allais pas parce qu’ils m’avaient suspendu mon permis, c’est ma sœur qui y est allée et ma sœur elle est partie sans shit. Il a commencé à crier « oh si vous ne ramenez pas de shit ce n’est pas la peine de venir, nanani, nanana ». Elle retournait au parloir le lendemain et je lui ai écrit un mot, un roman « Espèce d’enculé, comment ça s’il n’y a pas de shit on ne vient pas te voir, ah ben si c’est comme ça il n’y a pas de problème. C’est dur dehors, regarde toi, ton frère qui est aussi en prison, le loyer, les mandats, la voiture, arrête de penser qu’à toi ». Le lendemain, ma sœur lui fait lire le mot et le soir il s’est débrouillé pour trouver un portable et il m’appelle : « C’est quoi ce mot que tu m’as envoyé ?» « Pourquoi tu cries ? Parce que si on n’a pas de shit ce n’est pas la peine qu’on vienne te voir » « Non mais c’est pas ça, c’est tout ce que je te demande, de m’apporter du shit, ça me calme ». Et puis quand mon permis il n’était plus suspendu, je suis allée le voir. Mais j’appréhendais le parloir. Je me disais, il va me défoncer parce que c’est un gros nerveux. Je me suis dit, il va commencer à crier et en fait il n’a pas crié, il n’a rien dit et dans sa tête il avait compris que je n’étais pas que sa passeuse de shit, que si je venais ce n’était pas que pour lui donner du shit mais c’était pour le voir, pour parler avec lui. Et puis au bout d’un moment, il me dit : « Ouais tu es froide, raconte moi ce qui se passe dehors » « c’est la merde » « ouais c’est que ce que tu trouves à dire, la merde c’est ici » « mais non, tu es nourri, tu es logé, tu es blanchi, tu manges, tu dors, je t’envoie tes mandats, tu te muscles, tu veux quoi de plus » « Ouais je suis enfermé entre 4 murs » parce que lui il ne voit que dehors, je lui dis non mais même dehors c’est la merde, il ne faut pas croire. Eux ils n’arrivent pas à se mettre dans la tête que…quand on est tout seul c’est dur, c’est juste ça, c’est ça qu’ils n’ont pas dans la tête. [Aïcha, 22 ans, compagne d’un détenu écroué en MA, prévenu, 6e mois.] ’