Conclusion

L’intimité des échanges est limitée par leur contrôle et les conversations sont bornées par les tabous qui les règlent. Les échanges familiaux, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils se réalisent, sont toujours empreints de normes et de principes pour ne pas les mettre en péril, pour leur permettre de remplir leur rôle de support de l’autre, ou parvenir à respecter l’individualité de chacun. Si en général les non-dits ou les mensonges s’observent dans les couples dont les membres sont éloignés (pour des raisons professionnelles par exemple), leur importance est accrue par les contraintes spécifiques de la vie carcérale.

Malgré ces entraves, l’analyse met en lumière la multiplicité des échanges noués avec le détenu : les acteurs parviennent à partager par-delà les murs, l’épreuve pouvant même apparaître positive pour leur relation. Faire couple et faire famille consiste alors à partager malgré la distance, à se remémorer ce qui a été vécu ensemble, à élaborer des projets en commun. Pour éviter que la séparation physique n’éloigne les acteurs les uns des autres, il est nécessaire de construire un « nous » et de continuer à impliquer l’autre dans les décisions ponctuant la vie quotidienne, de produire de la présence malgré l’absence. D’ailleurs, l’absent devient souvent omniprésent. L’inscription de leur commune appartenance passe par une multiplicité de supports et de micro-échanges échappant au contrôle de l’administration pénitentiaire. Cette épreuve, comme d’autres « coups durs », peut donc être l’occasion d’une réactivation des liens. Les relations de conjugalité notamment semblent renforcées, répondant plus désormais au modèle de vie conjugale privilégié par les femmes. En effet, selon les enquêtés, l’incarcération favorise la conversation qui est par ailleurs plus sincère et authentique, elle recentre les acteurs sur les rapports conjugaux ou la vie familiale en redonnant la priorité au « nous » au détriment du « je » amenant chacun à réaffirmer les sentiments ressentis l’un pour l’autre.

Pour autant, les relations ne sont pas toujours pacifiées. En effet, les dynamiques relationnelles observées suivent simultanément un mouvement d’intensification des échanges et d’accroissement des tensions liées au télescopage entre le dehors et le dedans ainsi qu’aux ajustements imposés par les changements de l’autre. De même, les tensions entre les modèles conjugaux ne sont pas résolues. Le couple semble fonctionner sur un double modèle : les hommes ayant le sentiment d’être floués dans leur place, surjouent leur masculinité et accroissent leur contrôle sur leur proche qui peuvent alors perdre en autonomie en raison de leur prise d’indépendance. Malgré la capacité des acteurs à se dégager de l’emprise de la prison, les relations qui se jouent par-delà les murs sont marquées par cette institution. La situation étudiée est alors souvent génératrice de conflits créant querelles, ruptures et inquiétudes pour la sortie.