Conclusion de la quatrième partie

Dans un contexte où les liens familiaux sont fragilisés par les effets de l’individualisation, notre propos illustre la force et l’adaptabilité dont ils peuvent parfois faire preuve face à une expérience qui les met à l’épreuve. L’engagement des enquêtés à l’égard de leur proche incarcéré se décline sous plusieurs formes, la pluralité des soutiens révélant la multiplicité de leur rôle. Les acteurs soutiennent moralement leur proche détenu en multipliant les témoignages de leur présence et de leur affection ; ils supportent son identité en tentant de parer aux risques de déréalité et de dépersonnalisation générés par la vie et la socialisation carcérales ; ils s’attachent à préserver sa présence dans le fonctionnement familial en faisant souvent figure de tampon entre le détenu et les membres de la parenté, ou en jouant un rôle de médiateur entre les enfants et leur père incarcéré ; enfin, les enquêtés préparent le parcours de réinsertion du détenu en lui servant d’intermédiaire avec la société. L’ensemble des rôles que se donnent les proches ont deux finalités essentielles : neutraliser les effets de l’incarcération sur la personne détenue, et s’efforcer de nourrir le lien familial et conjugal en continuant à écrire du « nous » malgré la séparation. En effet, ils s’efforcent de créer de la proximité au-delà de la distance, l’épreuve étant souvent présentée comme un facteur d’intensification des relations dans le sens où elle favoriserait une conversation authentique entre les acteurs recentrés sur le familial ou le conjugal. Si l’ensemble de ces rôles nécessite un fort investissement de la part des proches, une dénégation de soi, l’analyse révèle que l’engagement ne se réalise pas nécessairement au mépris du souci de soi, les acteurs étant souvent, en attente de réciprocité. Ils souhaitent une reconnaissance du soutien apporté et s’octroient un droit de contrôle et d’ingérence sur les détenus. Cependant, les hommes incarcérés qui ont le sentiment d’être déniés et atteints dans leur masculinité, s’attachent parallèlement à conserver, voire à renforcer leur emprise sur ce qui se joue en leur absence. Cette situation d’emprise réciproque et de confrontation entre le dehors et le dedans, cette superposition de modes de fonctionnement familiaux et conjugaux divergents, créent des conflits et des tensions entre les acteurs. Aussi les relations évoluent-elles au fil de l’épreuve et les proches s’attendent à vivre un nouveau temps de transition au moment de la sortie.